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Croyez-vous que c’est une femme ? Je n’en voudrais pas pour tirer ma charrette ! Son mari en fait pourtant bonne estime, parce qu’elle est très propre et très courageuse ; malade comme la voilà, elle fait encore l’ouvrage d’un homme qui se porterait bien. Elle a aussi pour elle qu’elle a toujours été sage ; dame ! fière comme une reine, contente d’être courtisée, mais ne souffrant pas qu’on la touche ! C’est égal, j’aime autant qu’il la garde que de me la prêter seulement pour une semaine : je n’aurais qu’à dire un mot de travers, elle serait dans le cas de m’arracher les deux yeux.

— Mais, docteur, prenez garde à vous en effet ! dit la marquise, qui, penchée en avant, écoutait le babil de son conducteur ; si vous ne la guérissez pas, elle vous assassinera.

— Oh ! elle n’est pas traître ! reprit Marescat ; c’est la colère, voilà tout !

— Cela doit tenir à un état maladif. A-t-elle toujours été ainsi ?

— Mais non. Au commencement de son mariage, elle était un peu braillarde et reprocheuse, et puis les autres femmes la faisaient monter. On n’aime ni les Niçois, ni les Monaquois, ni tous ceux de par là, et on en voulait aux garçons qui la trouvaient de leur goût. Oh ! dame, les femmes d’ici ne sont pas bien commodes non plus, il faut le dire, et menteuses !… Savez-vous comment ça s’appelle, ce petit lavoir que vous voyez là au bord du chemin ?

— Dans mon pays, on appelle cela une babille, parce que c’est le rendez-vous des femmes de la campagne.

— Ici ça s’appelle une mensonge, reprit Marescat en riant, et c’est bien appelé, je vous dis !

— Êtes-vous marié, Marescat ? lui demanda la marquise.

— Oh ! moi, répondit-il, j’ai une bonne femme qui travaille et qui est savante pour deux, car elle fait mes comptes, et moi, je ne sais ni lire ni écrire… Mais voilà un mauvais pas ; regardez un peu comme M. Botte, c’est mon cheval de droite, va passer là dedans et donner du collier !

Les chemins de la presqu’île étaient insensés, nous ne faisions que nous enfoncer dans des trous ou gravir des escaliers de rochers. Le bonhomme conduisait avec certitude, toujours riant et causant. Les promenades en voiture dans les mauvais chemins m’ont toujours beaucoup plu. Chaque pas est une aventure. La marquise, déjà habituée à ce genre de locomotion difficile et périlleuse, s’amusait de ma surprise, car il est certain que Marescat, son mulet et son cheval favori faisaient des prodiges.

Je les quittai au sentier de La Seyne, et je courus rejoindre La Florade à Toulon. Pasquali l’avait grondé et ne lui avait pas promis de réussir : mais, loin d’être soucieux, il était porté par son heureux tempérament à voir tout en beau. Il se croyait déjà débarrassé de