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chercher, disait-il, dans les gouvernemens modérés que nous connaissons quelle est la distribution des trois pouvoirs, et calculer par là les degrés de liberté dont chacun d’eux peut jouir ; mais il ne faut pas toujours tellement épuiser un sujet qu’on ne laisse rien faire au lecteur. Il ne s’agit pas de faire lire, mais de faire penser. » Combien de gouvernemens depuis cette époque sont venus donner raison à cette théorie ! Il y avait quarante ans qu’elle était propagée par les écrits du publiciste, lorsque l’assemblée constituante entreprit son œuvre : elle était si nette et si frappante, elle trouvait dans les faits une telle autorité que déjà elle avait la puissance d’une loi souveraine dans l’opinion publique, qui l’avait acceptée. Elle fut comme la première assise des travaux de l’assemblée, sans qu’il y eût pour ainsi dire de débat à ce sujet.

Comment devaient être réglés et répartis ces trois pouvoirs ? Sur cette question pratique, Montesquieu ne s’était point assez catégoriquement expliqué. Remontant à l’origine des pouvoirs, l’assemblée partit de cette idée, qu’ils n’avaient qu’une seule et même source, la nation, le pays, et en déduisit cette conséquence, qu’ils ne pouvaient être exercés qu’en vertu d’une délégation du pays lui-même : aux représentans serait délégué le pouvoir législatif, au chef de l’état le pouvoir exécutif. Quant au pouvoir judiciaire, l’assemblée pensa que le pays devait autant que possible le retenir, ou du moins ne s’en dessaisir que dans une certaine mesure et en formulant ses réserves. Le jury fut donc décrété au criminel, et par là le pays retint la connaissance des faits qui touchent de plus près à l’honneur, à la liberté, à la vie des citoyens. Fallait-il admettre la même règle en matière purement civile, c’est-à-dire dans l’examen des causes où se trouvent plutôt engagées dès questions de fortune et de propriété ? L’assemblée se vit là en face d’une difficulté des plus sérieuses ; si l’ordre logique des idées la portait à réserver également au pays le jugement des affaires civiles, l’expérience des choses judiciaires lui faisait entrevoir des obstacles de plus d’un genre. Le jugement des causes civiles par le jury fut rejeté, et l’on convint de le déléguer à des juges. Toutefois l’assemblée ne perdait pas l’espoir de voir un jour le pays assez éclairé, assez fort de lui-même pour reprendre aux juges les fonctions qu’ils étaient chargés de remplir en son nom. « L’établissement général des jurés étendu au civil comme au criminel n’est pas pour nous d’une nécessité si impérieuse, d’une utilité tellement indispensable, qu’il faille en précipiter l’exécution ayant que les lois y soient appropriées, avant que l’opinion publique y soit mieux préparée, et que quelques expériences partielles des avantages de cette méthode aient disposé les esprits à désirer, qu’elle soit généralisée. » Était-ce là une illusion ?