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par le ministre de la justice lui-même pour la poursuite d’un délit ou d’un crime. Ce ministre n’avait-il pas la suprême direction de toutes les actions publiques ? Non, répondit très bien la cour suprême ; l’action publique est attribuée par les lois aux cours d’appel et aux magistrats du parquet. « Et en confiant ainsi à des corps indépendans la surveillance de l’action publique, en les autorisant à la mettre en mouvement, ces lois ont créé en faveur de la liberté civile une des plus fortes garanties. » Ainsi parlait cette cour le 22 décembre 1827, après avoir entendu le rapport de M. Mangin et le réquisitoire de M. Laplagne-Barris, deux éminens juristes. Tout ce qu’on pourrait dire, c’est que dans la rigueur des choses la nomination du ministère public tel qu’il est aujourd’hui devrait émaner tout à la fois du pouvoir et de la société, dont il est le mandataire pour tout ce qui tient au droit populaire d’accusation ; mais, on va le voir, la société s’est dessaisie de son droit de nomination ou de désignation même à l’égard des juges.

Telle fut, d’après l’assemblée constituante, la base de la nouvelle organisation judiciaire. Pour elle, le pouvoir judiciaire était comme une espèce de souveraineté dans l’état ; issu des droits naturels du pays, ayant son origine dans la constitution municipale et primitive des peuples, il ne relevait que de la nation elle-même, et devait agir avec une plénitude d’action indépendante de toute autre autorité. C’était la théorie de Montesquieu mise en pratique, mais fortifiée par la puissante attache que donnaient au pouvoir judiciaire l’investiture et le mandat populaires. L’assemblée n’avait pas trouvé de meilleur moyen d’assurer en même temps l’indépendance des magistrats et la liberté des citoyens. Depuis cette époque, le mécanisme de l’organisation judiciaire a changé plus d’une fois ; mais la conception de l’assemblée est restée au fond des choses, parce que, disait très bien Thouret, « si la forme des instrumens par lesquels le pouvoir judiciaire peut être exercé est variable jusqu’à un certain point, les principes qui fixent sa nature, pour le rendre propre aux fins qu’il doit remplir dans l’organisation sociale, sont éternels et immuables. » Qu’est-ce donc qui a varié dans l’organisation judiciaire de 1789 ? qu’est-ce qui était transitoire ? qu’est-ce qui était immuable et a dû survivre sous les divers régimes ?

Ce qui est éternel et doit durer dans l’organisation judiciaire d’un pays, c’est ce qui est destiné à assurer l’indépendance du juge, sans laquelle il n’existe aucune garantie pour la liberté de tous. La désignation des juges par les électeurs offrait des inconvéniens que l’expérience fit ressortir ; en l’an VIII, elle fut confiée au pouvoir exécutif : le juge cessa d’être attaché à. telle ou telle circonscription électorale, et put exercer partout ses fonctions. Le droit d’accusation fut confié au ministère public, qui se trouva investi de fonctions