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faisait l’instruction, le cœur de l’honorable magistrat qui a vécu à côté de l’humaine institution du jury se serre de douleur ; celui de l’ancien juge restait impassible selon le vœu de la procédure qu’il lui était prescrit d’observer. Pourquoi des sentimens si divers chez le magistrat d’autrefois et celui de nos jours ? Les mœurs seraient-elles changées ? Les mœurs du dernier siècle n’avaient rien de cruel, ce semble. Les magistrats appartenaient à d’opulentes familles, et leur éducation valait peut être la nôtre ; presque tous étaient des gens du monde accomplis. L’assemblée constituante en avait dans son sein et les connaissait à merveille ; elle comprit que les hommes ne sont pas durs et insensibles par nature, mais qu’ils deviennent ce que les fait la fonction. Elle partit de là et enleva pour toujours, il faut l’espérer, la connaissance des crimes à la magistrature permanente pour la remettre au jury. À ceux qui semblaient préférer aux lumières naturelles du juré les connaissances supérieures du juge, Thouret se chargea d’expliquer comment il se fait qu’une longue pratique, si essentielle dans le jugement des contentions civiles, détruit au criminel les qualités morales qu’exige la mission du juge, comment l’habitude de juger en cette matière conduit peu à peu à l’insensibilité.

Il y eut donc un jury d’accusation, car le droit naturel d’accusation ne parut pas devoir être délégué à des magistrats, et un jury de jugement, comme en Angleterre. L’assemblée croyait-elle emprunter cette institution au peuple qui en faisait alors une si remarquable application ? Nullement ; elle était convaincue que le jury avait été primitivement dans nos mœurs ; elle pensait même que cette forme de jugement avait été transportée par nous en Angleterre, que nous l’avions perdue ensuite, comme nous perdons souvent les meilleures choses, par une certaine mobilité d’esprit, tandis que le peuple anglais s’y était attaché, comme il s’attache à ses institutions. La vérité est que le jury n’est d’aucune contrée ; il est de tous les pays où la liberté peut s’établir dans ses formes naturelles, qui sont les meilleures. Le jury était à Athènes et à Rome, il était chez les Germains et les Francs, il fonctionnait avant la féodalité ; le leude armé était assisté dans ses bois de juges qu’on appelait ragimburgii ou hommes libres ; ils devaient être au nombre de sept : congreget secum septem ragimburgios, dit la loi salique. Ces jurés étaient choisis par le peuple, populi consensu. On les élevait parfois au nombre de douze, comme de nos jours, et ils étaient pris parmi les notables, boni homines. En pleine féodalité, M. de Bastard nous montre le jury sous différentes formes en usage dans le ressort de l’ancienne sénéchaussée de Toulouse. Ce premier fait constaté, qu’importent les transformations par lesquelles passera désormais ce droit primitif et naturel sous la féodalité dominante, sous