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élus par les citoyens, et auxquels était confié ce travail, avaient été substitués les préfets. Les attributions de ces administrateurs furent habilement conservées aux nouveaux fonctionnaires, qui dressèrent eux-mêmes la liste des jurés « sous leur responsabilité, » et comme ils étaient inscrits en même temps au nombre des officiers de police judiciaire, le code d’instruction criminelle offrit cette particularité qu’un même agent de l’autorité pût constater le crime, interroger l’accusé, le livrer aux tribunaux et lui choisir des juges. Encore fallut-il que ces juges fissent leur devoir comme le voulait le gouvernement. En 1813, sur la déclaration du jury, les nommés Werbrouck, Lacoste, Biard et Petit, administrateurs de l’octroi d’Anvers, avaient été acquittés de l’accusation portée contre eux. Un sénatus-consulte annula la décision et renvoya ces hommes, absous par la loi et par le pays, devant une cour impériale, qui dut les juger sans le concours des jurés. C’était ici le pouvoir exécutif qui désarmait la justice, et foulait aux pieds l’institution du jury après avoir obtenu de la faiblesse du sénat un de ces actes qui déshonorent un règne, et plaçait l’empire, on l’a dit avant nous, sur la même ligne que la convention. Sur cette pente, le pouvoir absolu ne devait plus s’arrêter : le 1er mai 1813, par un simple décret, Napoléon établissait la peine de mort pour la capitulation des commandans militaires. Le décret conférait à des commissions extraordinaires non-seulement le droit de prononcer cette peine, mais d’appliquer arbitrairement celle qui leur conviendrait, « alors même qu’il s’agirait de faits non prévus par la loi pénale. » Le sénat conservateur, sous les yeux duquel s’accomplissait cette violation des lois du pays, garda le silence ; mais lorsqu’en 1847 un conseil de guerre d’Oran fit application du décret de 1813, la cour suprême, sur un vigoureux réquisitoire de M. Dupin, n’hésita pas à déclarer que ce décret était inconstitutionnel, et cassa la décision du conseil de guerre.

Dès que le pays fut revenu à lui-même, il se demanda s’il convenait d’abandonner aux préfets les listes du jury. Le débat sur ce point a pris, selon les temps, un caractère plus ou moins vif, plus ou moins passionné ; mais il témoigne de la persistance avec laquelle le pays défend ou revendique toujours ce qu’il croit être dans ses droits. Que serait l’institution populaire du jury, si elle ne reflétait plus la société qu’elle représente dans l’œuvre de la justice et si elle était détournée de sa source naturelle ? Les prétentions du pays à surveiller la composition des listes et les tendances avouées ou non du pouvoir à se passer de lui ont été et seront toujours les deux forces opposées dans le débat. À une époque où les questions de presse étaient portées devant le jury, ce débat offrait un intérêt capital pour les libertés publiques. Le gouvernement de la restauration restreignit l’omnipotence des préfets en les obligeant