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dans cette cession le jury en matière criminelle, et de let mettre en activité aussitôt qu’il sera possible. Il faut l’établir même dans les tribunaux militaires, et encore pour les délits de presse, quand ils seraient poursuivis au civil. » Aucun débat n’eut lieu à ce sujet, et la compétence du jury pour les délits de presse fut inscrite comme un principe fondamental dans le chapitre V de la constitution.

Restait à élaborer la loi réglementaire. Les gouvernemens qui suivirent la révolution aimèrent mieux se faire un instrument de la presse et l’asservir tout en proclamant qu’elle était libre. Il était réservé au gouvernement de la restauration de réaliser le vœu de l’assemblée constituante. Il est intéressant d’ouvrir le Moniteur à la date de 1817 et de 1819 : avec quelle ardeur passionnée était défendue la liberté de la presse ! L’assemblée constituante n’en aurait pas été plus jalouse. Un noble pair se livrait à des recherches, et trouvait dans la monarchie neuf cent cinquante-deux années de temps barbares avant la découverte de l’imprimerie, trois cent cinquante et une années depuis cette découverte, sous le régime varié de l’oppression ou de la censure de la presse, trois années de liberté depuis le 27 août 1789 jusqu’au 17 août 1792, trois ans de cette même liberté sous le directoire jusqu’au 18 fructidor, six ans sous la restauration : somme totale, à peu près douze années de liberté de la presse dans une monarchie de près de quatorze siècles !… « Sommes-nous donc, s’écriait-il, déjà si fatigués de cette liberté ! » M. de Barante a voulu rappeler la glorieuse part que Royer-Collard avait prise à cette discussion. Royer-Collard combattit la juridiction du tribunal correctionnel, qu’il appelait un tribunal d’exception. La loi, selon lui, n’avait point caractérisé chaque délit à l’avance ; elle s’était arrêtée à des définitions tellement générales que le pouvoir du juge, pour déterminer le délit, était à peu près arbitraire. Qu’est-ce que la calomnie, l’injure, la diffamation, l’outrage ? Qu’est-ce que la provocation directe ou indirecte à la désobéissance aux lois ? Il n’y a de jugemens que ceux qui sont écrits à l’avance dans un texte ; faute de ce type, les jugemens ne sont que des décisions morales rendues dans l’intérêt public, autorisées, mais non dictées par les lois ; « les juges ne sont alors que des arbitres guidés par la lumière naturelle de l’équité et de la raison, ce ne sont pas des magistrats chargés de l’application de la loi selon des règles fixes et posées à l’avance. »

Cet argument, qui revient chaque fois qu’il s’agit des juridictions en matière de presse, est-il véritablement fondé ? Si les délits de presse ne sont pas définis à l’avance, c’est qu’ils échappent à une définition rigoureuse ; la pensée a mille formes, et vouloir la