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d’Anville la signale sur sa carte d’Ethiopie. Quant à la capitale même, les annales du pays prétendent que c’était vers 1776 une ville importante, que les Chelouks surprirent une nuit et détruisirent entièrement après en avoir exterminé les habitans. Les deux fleuves jumeaux forment le Nil proprement dit, qui coule entre Touti et les mamelons sablonneux de la rive occidentale. Le bras qui sépare l’île de la terre ferme de droite est un bras mort entièrement à sec lors des basses eaux, et près duquel s’élève la kouba d’un saint illustre, Hodja-Ali, dominant un vaste cimetière où les croyans les plus dévots se font ensevelir.

Le voyageur qui entre dans le Fleuve-Blanc en franchissant devant Ondourmân une ligne de rochers noirs qui sert de barrage au fleuve n’éprouve point au début cette sorte d’admiration étonnée qu’inspirent généralement les perspectives des grands cours d’eau. Des plages basses, sablonneuses, nues sur la gauche, couvertes sur la droite de forêts basses et maigres ; absence complète de villages, parfois une tribu nomade qui vient abreuver quelques centaines de chameaux et de bestiaux ; à deux heures de l’embouchure, sur la rive droite, un arbre isolé, « l’arbre de Mahou-Bey, » bien connu des équipages, qui ne manquent jamais d’y faire une station pour prendre solennellement congé du village (hellet)[1], et vider quelques jarres de merissa. Je venais d’y jeter l’ancre le 27 novembre 1860, à quatre heures du soir, quand je vis arriver du désert, poussé par un furieux vent d’est, un nuage rouge, opaque, qui rasait la terre, et que je ne puis mieux comparer qu’à des feux de Bengale affaiblis. Mes hommes se hâtèrent d’assurer la barque et les agrès, puis ils descendirent à terre et se couchèrent en se voilant soigneusement la figure de leurs eri[2]. C’était simplement un coup de simoun, et, sachant par expérience que ce n’est pas chose à regarder en face, je fis comme les autres, Le tourbillon passa sur nos têtes et s’alla perdre dans le fleuve.

Un peu plus loin, sur la même rive, sont quelques villages, dont l’un porte le nom assez original d’Amart-el-Kachef[3]. Il faut savoir que beaucoup de terrains de cette zone seraient excellens, s’ils étaient arrosés, et cette irrigation n’exigerait que l’établissement d’une sakié, c’est-à-dire quelques jours de travail, l’entretien d’un bœuf et celui d’un petit domestique. Or quelques sous-préfets révoqués ou capitaines en retraite (le mot kachef représente ces deux fonctions) ont eu la louable idée de se faire concéder ces villages,

  1. C’est le nom que dans le peuple on donne à Khartoum.
  2. Sorte de blouse longue, blanche ou bleue, qui se porte comme la gandoura d’Algérie.
  3. C’est-à-dire le sous-préfet l’a amélioré.