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à eux sur divers points du globe, et qui en sont encore à l’âge de la pierre et aux habitations lacustres. C’est alors qu’on pourra, tenter d’écrire l’histoire comparée des peuples adolescens, l’un des chapitres les plus intéressans du grand livre de l’homme.

En attendant les résultats de recherches organisées systématiquement sur tous les continens, on doit féliciter hautement les savans explorateurs des lacs de la Suisse d’avoir recueilli ces humbles débris, si longtemps cachés sous les eaux. Ces restes parlent aussi leur langage, non moins éloquent que celui des grands monumens laissés par les conquérans romains. Les peuples dont la vie est racontée par toutes les voix de l’histoire ne sont pas les seuls qui aient exercé sur leurs successeurs une grande et durable influence ; les tribus sauvages ou barbares oubliées par la mémoire fugitive de leurs descendans ont aussi accompli leur œuvre. Hier encore, avant qu’on eût aperçu des pilotis à travers l’eau transparente des lacs, on ne connaissait pas cette nation, qui, pendant vingt siècles peut-être, a préparé notre sol pour la civilisation qu’il porte aujourd’hui. C’est elle qui a lutté avec les bêtes féroces, qui a défriché les forêts, cultivé la terre ; c’est elle qui a fait ce grand travail de colonisation première attribué, par les Grecs à leurs demi-dieux. Les héros de la Gaule ne portent pas, comme ceux de la Grèce, les noms glorieux d’Hercule et de Thésée ; mais, pour être tombés dans l’oubli, ils ont néanmoins gardé tous leurs droits à notre pieuse reconnaissance. Les générations actuelles sont solidaires de celles qui depuis longtemps ont disparu, et dans la civilisation moderne si vantée une large part doit certainement revenir aux peuples sans nom des âges de la pierre et du bronze.


ELISEE RECLUS.