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mouchoir ou de chapeau j’abats dans les herbes les papilio Asterias et Polyxenus, de grandes hespéries aux ailes inférieures plaquées de mica, des polyommates bleus à quatre queues, une héliconie Charitonia, de jolis bombyx rose et jaune endormis sur les écorces de je ne sais quelle espèce de chênes ; il y en a tant ici, des noirs, des blancs, des rouges ! Nouveau désespoir : pas d’épingles pour piquer mes captures ! Les feuillets de mon album sont convertis en cornets et en papillotes, et je bourre mes poches d’insectes de toutes familles et de tous genres. Je ne sais pas le nom du tiers de tout ce que je ramasse ; mais au retour je définirai toutes ces bestioles. Je reconnais cependant la mégacéphale Virginica, joli carabe vert comme une émeraude, la cicindèle Purpurea, les trox Carolinus et Affinis, les hannetons (pelidnota Punctata) qui bourdonnent en plein soleil autour des lianes, la cétoine Nitida. Je fais une provision de ces lucioles qui m’avaient si fort intrigué : ce sont les lampyres Pyralîs, Linearis, Marginella et Pensylvanica, tous communs ici. Je repêche dans une flaque d’eau un gros longicorne qui se noyait. Sur une espèce de menthe qui embaume l’air et forme un dôme de fleurs volent, je crois, tous les insectes du pays, papillons, petits carabes dorés, fourmis velues, qui font la chasse aux pucerons écarlates ; des bourdons blanchâtres, des abeilles, des guêpes à ventre de cuivre rouge, de grands ichneumons en bronze florentin, des mouches d’or, des membraces blanches, et jusqu’à des cimex si singulièrement construites que les unes ressemblent à des guitares incrustées de nacre, les autres à des mandolines. C’est une véritable fourmilière ; tout ce petit monde va, vient, butine, chasse, plane, se poursuit, s’aime ou se mange. Au moindre mouvement que je fais, tout s’envole ; une seconde après, les bouquets lilas sont repeuplés.

Mais quel soleil ! Je suis littéralement cuit, non rôti, mais bouilli, car ce n’est pas la chaleur d’Afrique ; celle-ci, bien plus molle, vous maintient dans une transpiration continuelle. On n’a pas à craindre les refroidissemens, la température des nuits étant égale à celle des jours et le vent ne fraîchissant pas. On m’a assuré ici que la chaleur des tropiques n’était pas plus forte. Pourtant, comme j’étais harassé, je m’assieds sous je ne sais quelle espèce d’arbre, et au bout de trois minutes je me sens glacé. Je quitte cette ombre perfide, et je retourne en plein soleil, non pas un soleil éclatant dans un ciel pur comme à Alger : une sorte de vapeur humide pénètre les plantes et leur conserve une luxuriante végétation. Partout de beaux oiseaux rouges à ailes et queues noires, des tangaras et des cardinaux. Un gobe-mouche gros comme un merle, brun à ventre jaune, à poitrine blanche, huppé de plumes vertes, grimpait, le bec plein, pour