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porter à dîner à ses petits, que j’entendais piauler d’impatience. En le suivant de l’œil, j’aperçois le nid, fait comme une grosse perruque, attaché à une branche basse ; mais juge de ma surprise ! quand j’y porte la main, tous les cheveux de cette perruque se détachent et se sauvent. C’était un paquet de maigres araignées à jambes démesurément longues. J’ai trouvé le nid de l’oiseau un peu plus loin ; il n’avait aucun rapport avec celui des arachnides.

Les cigales grésillent sur un rhythme nouveau à mon oreille ; elles parlent évidemment une autre langue que celles de chez nous. Cette espèce est verte et bien plus grosse que celle du midi de la France. J’ai vu encore une quantité d’oiseaux charmans, tels que les chardonnerets jaunes à ailes, queue et calotte noires, des baltimores, sorte de gros moineau noir et jaune, des rouges-gorges qui ont ici la poitrine d’un beau bleu d’outre-mer et le ventre blanc, des geais tout bleu de ciel, qui sautent sur l’herbe en relevant la queue d’un air triomphant. Ils sont bien fiers d’être si bleus !

Te rappelles-tu combien de fois j’ai dit en regardant les collections d’exotiques : « Je ne verrai jamais voler tout cela ? » Et voilà que du jour au lendemain pour ainsi dire je vois cette riche nature en vie ! et en pleine vie d’été, dans toute sa force et dans toute sa grâce ! C’est si beau que j’y perds presque la rage de prendre, d’analyser et de savoir. Est-il possible qu’on se batte et qu’on se déchire sur une terre si remplie d’enchantemens ! Ne faudrait-il pas voir ici, au lieu d’un peuple de politiques, un peuple de naturalistes et de poètes ? Mais on dit que les contemplatifs ne sont bons à rien ! Ils sont au moins bons à ne pas faire de mal.

Je m’amusais tant à voir toutes ces merveilles du Nouveau-Monde, que j’ai failli oublier l’heure et le dîner du secrétaire d’état, M. Seward. Je reviens vite, je vide mes poches et je pars. C’est à peu près le même personnel qu’au dîner du président : ministres, membres du congrès, sénateurs ; les dames de leurs familles sont venues le soir.

Pour juger la société américaine, il me faudra, je crois, me détacher absolument des idées et des instincts français. J’avoue que je ne peux pas encore obtenir de moi cette métamorphose. Certes il y a ici des gens de mérite, mais il ne me semble pas qu’on les recherche et qu’on les apprécie, ou, si on les apprécie, on les craint. Interrogez qui vous voudrez sur un homme populaire ou influent, on vous répond tranquillement : Grand esprit ? Non. Homme habile ? Non. Cœur d’apôtre ? Non. Actions d’éclat, talens particuliers, services rendus ? Non. Pourquoi faire ? À quoi bon ? C’est un brave homme, c’est le premier venu, c’est tout ce qu’il nous faut ; — admirable réponse et digne des temps antiques, si nous étions ici en plein âge