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Quelques-uns de nous essaient de l’interroger ; mais il n’ose plus répondre, ou il ne comprend plus. Je répète les mêmes questions en berrichon ; il comprend très bien, mais il manque de mots ou d’idées, et retombe dans son travail avec une insouciance feinte ou réelle. C’est au reste conforme à la dignité indienne, qui s’oppose à l’expansion, et je me suis souvenu ici de ce qui t’avait frappée à Paris quand nous questionnions les Ioways de M. Gatlin. Nous trouvions un rapport extraordinaire entre leur manière de dire sans vouloir dire et celle de nos Berrichons.

Le prince et Ferri entrent dans une pirogue, et, conduits par deux Indiens qui rament avec force et adresse au milieu des cascades bouillonnantes sur les grosses roches, ils remontent les rapides et font le tour de l’île. Ils en reviennent très mouillés, parce que, quoique très profondément assis et presque enfoui jusqu’aux yeux dans ces canots, on y est gagné par les embruns qui y pénètrent en pluie continue.

On remonte à bord, et après le thé le bal recommence de plus belle ce soir sur le Lac-Supérieur. Le temps, c’est-à-dire le climat, s’est beaucoup rafraîchi.

Lac-Supérieur, 22 août.

Le lac a été agité cette nuit, et notre grosse maison à vapeur s’est donné des airs penchés. Ces vagues peu méchantes ont cependant affecté le moral de nos jeunes voyageuses. Ce matin, le North-Star dépose sur le quai de Marquette tous ses touristes américains, qui s’empressent de s’extasier devant quelques maisons de bois, sous prétexte que ce sera peut-être un jour une grande ville. Ils disent cela de tous les endroits où trois maisons se regardent en bâillant au bord de l’eau ; mais ils en ont vu naître tant d’autres qui ne se présentaient pas mieux qu’on n’a pas le droit de faire trop l’incrédule.

En attendant qu’une locomotive soit prête pour emmener toute la caravane aux mines de fer, à environ dix lieues de là, je me promène dans une ex-forêt de pins coupée à ras de terre, où, dans le terrain sablonneux, poussent des renouées, des centaurées et des immortelles blanches. Des criquets jaunes s’envolent sous les pieds en faisant entendre un petit grésillement singulier. Je trouve des quantités de buprestes (chalcophora Virginiensis) qui sortent des racines des sapins brûlés.

La locomotive est prête ; mais il n’y a qu’un wagon convenable pour les dames ; moyennant des planches de sapin posées en travers des tombereaux à minerai, tout le monde trouve place, et, par un beau soleil qui réchauffe un peu le fond de l’air froid et sec, la