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au droit de virement une singulière étendue. En lisant le mémoire de M. Fould, on aurait pu croire par moment qu’il allait arriver à une conclusion bien différente de celle à laquelle il s’est arrêté. À diverses reprises, il a insisté avec une grande force sur la nécessité du contrôle législatif, cette première condition d’un sage et discret emploi des deniers de l’état[1]. C’est dans l’accomplissement de cette condition qu’est, à vrai dire, le nœud de la difficulté, et puisque M. Fould a si parfaitement reconnu cette difficulté, puisqu’il l’a si courageusement signalée, ne nous donne-t-il pas le droit de demander comment il comprend que la nouvelle législation rendrait le contrôle législatif plus efficace ? On aperçoit bien la volonté de restreindre les dépenses extra-budgétaires ; mais enfin si ces dépenses ont lieu par l’abus du droit de virement et du droit de proposer le remplacement des fonds enlevés à certains chapitres, que pourra faire le corps législatif de plus que ce qu’il faisait jusqu’à ce jour ? Il n’aura pas davantage la réalité du contrôle préalable, puisqu’il n’a ni le droit d’amendement ni le droit de rejet, si ce n’est par branches entières de service, ce qui rend le droit d’un usage bien difficile : il n’aura même pas la réalité de la libre sanction, puisque, quand on lui présentera des propositions de remplacement des fonds employés par virement au-delà des limites du budget, la dépense sera faite ou engagée. C’est dans la spécialité des dépenses qu’existe le seul contrôle réel, et cependant le mémoire affirme que « le retour à la spécialité aurait pour unique effet de déplacer la responsabilité en faisant intervenir le pouvoir législatif dans l’administration. » On dirait que deux courans contraires ont entraîné l’auteur du mémoire ; on dirait que, conduit dans un sens par ses propres raisonnemens, il a été poussé dans un autre par quelque force secrète qui agissait sur lui, malgré lui ou à son insu ; on dirait qu’après avoir entrevu la voie qui menait au but, il s’est arrêté sur le seuil, ne pouvant ou ne voulant pas le franchir.

Le rapport à l’empereur du 20 janvier 1862 fait éprouver une impression semblable, car il s’y trouve le même mélange d’idées justes, de saines doctrines et d’expédiens discutables. Au reste, M. Fould n’a pas à se plaindre de cette impression, puisque le public est assez disposé à lui attribuer le mérite de ce que ses plans

  1. « La constatation a réservé le droit de voter l’impôt au corps législatif ; mais ce droit serait presque illusoire si les choses demeuraient dans la situation actuelle… En rendant au corps législatif ses attributions les plus incontestables, l’empereur le solidariserait avec son gouvernement… Sa majesté réaliserait ainsi, de la manière la plus certaine, la pensée pleine de prévoyance qui a inspiré le décret, du 24 novembre… » Et ailleurs, entrant encore plus dans le vif : « Qu’est-ce qu’un contrôle qui s’exerce sur une dépense dix-huit mois après qu’elle est faite, et qui peut-il atteindre, si ce n’est le chef de l’état, puisque les ministres ne sont responsables qu’envers lui seul ? »