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La restauration était sans doute l’idéal de Mme Swetchine. La révolution de 1830 la trouva assez vivement hostile, et nul en vérité n’a décrit d’un trait plus mordant, plus frondeur, plus aiguisé, les hommes, les choses, les péripéties de ce temps. Mme Swetchine n’eut jamais de mission politique, à ce qu’il semble ; sa diplomatie libre n’entre pas moins merveilleusement dans le sens de la politique russe, et ses lettres sur les premières années de la révolution de 1830 sont adressées à Mme de Nesselrode. Ce n’est pas que la sagacité, l’esprit, manquent dans ces pages, dans ce journal où passent les échos et les impressions du moment, ce n’est pas même que Mme Swetchine, justement parce qu’elle est étrangère et moins intéressée, partage toutes les illusions du monde qu’elle voit alors et qu’elle préfère ; elle a plus de clairvoyance avec la même malignité à l’égard des hommes, à commencer par le roi Louis-Philippe, et si elle ne croit pas à la durée de la monarchie de juillet, elle ajourne singulièrement ses espérances de restauration. La France, à ses yeux, est arrivée à un état où la république n’est pas possible et où la monarchie l’est encore moins, où tout s’en va, et où il n’y a qu’un mot pour caractériser cette situation, le riennisme. Elle se console après tout avec une parole prêtée à M. de Talleyrand : « la France fait du présent, la Russie fait de l’avenir. » L’Académie elle-même n’échappe pas à ses sévérités railleuses ; elle vient de donner un déplorable exemple de l’esprit qui l’anime en nommant un « démagogue, » M. Tissot. Heureusement l’Académie s’est convertie depuis et a trouvé grâce auprès de cette ingénieuse femme.

Un jour une lettre de Mme Swetchine à Mme de Nesselrode reproduit ce tumulte d’impressions acérées ou effrayées. « Vous me demandez, chère amie, si beaucoup de gens de l’ancienne cour ont fléchi devant la nouvelle idole, si beaucoup de gens, en faisant des vilenies au nom de leurs sentimens les plus chers, ont rappelé ce mot de M. de Talleyrand : « ne me parlez pas des pères de famille, ils sont capables de tout ! » Eh bien ! non, chère amie, les femmes de la bonne compagnie, les hommes qui sont au Palais-Royal en amateurs sont encore en très petit nombre, marqués au doigt et même tant soit peu conspués. La société, celle qui a pour elle des titres et des formes, possède pour reconnaître la durée presque autant d’instinct que le commerce. L’un et l’autre tiennent le pouls de l’état et ne risquent rien, tandis que les passions qui ne sont pas bridées par l’intérêt hasardent tout… Venons-en, ma chère bonne amie, à cette ingrate Pologne, qui absorbe maintenant toutes nos pensées… Quand la révolte s’étendrait à tout le royaume, si elle ne va pas plus loin, les forces les plus voisines doivent être assez considérables pour l’étouffer… En tout, je ne vois à la Russie d’ennemi