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C’était évidemment une force considérable que les tirailleurs avaient devant eux. A une distance rapprochée déjà et qui diminuait rapidement, des cavaliers galopaient debout sur leurs étriers en faisant un feu assez vif de mousqueterie. Derrière cette audacieuse avant-garde se mouvaient tumultueusement des masses blanches; les tribus dont on avait traversé le territoire désert s’étaient concentrées et marchaient au-devant de l’ennemi commun avec leurs forces réunies. Dès qu’il eut jugé de la situation, Laërte repartit au galop pour rendre compte à Serpier de ce qui se passait. Alors le chef du convoi menacé prit ses dispositions de défense. On sonna le ralliement des tirailleurs, on fit masser les voitures du train qui portaient les munitions, et l’infanterie se plaça autour de ces chariots. Ce fut pour Laërte le moment de contempler avec intérêt les hommes qu’il avait sous les yeux, et dont il allait voir se déployer l’énergie. Le visage de Serpier avait une expression conforme aux meilleures traditions de l’esprit militaire. La joie du combat était tempérée chez le jeune chef par la gravité du commandement. Rien du reste de plus énergique et de plus placide à la fois que ses traits où l’approche du danger répandait un serein éclat. Tandis que le front prenait quelque chose d’intrépide et de fier, une singulière douceur se peignait dans les yeux. En ce moment, Yves de Serpier aurait rappelé à un esprit lettré le beau portrait que Bossuet nous a tracé du prince de Condé au feu. Il y avait dans toute sa personne quelque chose d’engageant et de libre dont un ami aurait pu profiter pour lui demander des conseils sur ses intérêts. Quant aux soldats de la légion, ils offraient la plus attachante variété de types belliqueux : l’Espagnol redoublait de gravité dédaigneuse, tandis qu’un pâle éclair paraissait comme le reflet d’un incendie intérieur dans l’œil bleu du Polonais. Toute une série de moustaches noires ou rousses, âpres, violentes et comme hérissées d’avance par le vent des combats, présentait un coup d’œil agréable et rassurant pour celui qui sentait tous ces poils formidables de son côté.

Les zéphyrs, eux aussi, s’apprêtaient gaîment à la besogne. On sait comment se recrutent ces soldats. S’ils n’offrent point ces solides vertus, ces qualités précieuses d’honnêteté et de discipline qui sont si loin de nuire à la valeur, ils ont parfois cependant un genre de mérite qu’il ne faut point méconnaître. Nombre d’entre eux ont acquis à l’endroit de maintes choses une philosophie railleuse qu’ils appliquent assez heureusement au danger. Le nom burlesque sous lequel leurs compagnons les ont désignés est destiné à rendre leurs allures légères sur tous les chemins de cette vie. Leurs fusils et leurs cartouches constituent au propre comme au figuré le seul bagage dont ils n’aient pas sans cesse la fantaisie de se débarrasser. Quant à leurs chemises, à leurs pantalons d’ordonnance et