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aux principes élémentaires de conduite dont la plus simple éducation nous munit, ils s’en délivrent journellement au gré de caprices renaissans qu’aucune punition ne peut refréner. S’ils représentent, comme on l’a dit quelquefois, l’élément parisien, ils ne le représentent pas de la même manière que les zouaves, gens, eux aussi, d’audace et de gaîté, mais qui savent soumettre à la toute-puissante direction du devoir les forces expansives de leur nature. Les zéphyrs sont des hommes qui ont failli, et qui malheureusement ne se repentent guère de leurs fautes. On se tromperait fort si on les prenait pour des Madeleines en quête de leur rédemption, offrant leur sang en guise de larmes. Seulement, lorsqu’ils sont en belle humeur, le péril les divertit quelquefois, et ils l’abordent alors d’une leste façon qui excite une profonde indulgence dans nos cœurs épris de la bravoure sous toutes les formes. Puis ces enfans perdus d’ordinaire sont vigoureusement commandés. Leurs officiers, pris indistinctement dans tous les corps de notre infanterie, leur montrent que l’intrépidité, pour briller de tout son éclat, n’a besoin de divorcer avec nulle autre des vertus guerrières. Ces officiers toutefois sont obligés forcément de participer quelque peu au caractère apparent de leur troupe. Il faut que dans leur attitude, leur geste, leur action, tout sente l’homme aux décisions rapides, qui se meut avec énergie et liberté dans la vie. Le capitaine Hermann, dit Bautzen, était un excellent officier de zéphyrs.

Ce vaillant soldat aurait été fort embarrassé de donner des renseignemens précis sur le lieu de sa naissance. Seulement il était sûr d’avoir eu pour langes une capote grise, et d’être toujours resté sous l’ombre du drapeau français. Il avait si souvent raconté la bataille de Bautzen, où il avait figuré à quatorze ans comme tambour, que le nom de Bautzen avait peu à peu fini par le désigner. Il était fier de cette appellation, qui convenait merveilleusement à sa personne martiale. C’était un homme aux cheveux grisonnans, un peu replet, quoique taillé pour la marche, offrant dans ce qu’il a de plus complet le vieux type français du voltigeur. On l’avait souvent plaisanté sur sa moustache d’une couleur incandescente. Il prétendait que c’était pour en éteindre le feu qu’il la trempait si souvent dans des liquides de toute nature. Le goût et l’habitude de boire n’avaient point toutefois chez Bautzen le caractère honteux de l’ivrognerie. Les zéphyrs n’avaient jamais vu vaciller ni le corps ni la raison de leur officier. Seulement Bautzen trouvait que les lèvres étaient occupées plus dignement à humer un vin généreux, voire une boisson insignifiante ou d’un goût pervers, qu’à prononcer des paroles oiseuses. Il avait à l’endroit de l’éloquence quelques axiomes pleins d’une ironie concise. Quoiqu’il eût déjà pris part à bien des combats, le recueil de ses allocutions à ses zéphyrs aurait