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petit nombre de leurs adversaires, les Arabes tentèrent un effort opposé à leur manière habituelle de nous combattre. Une troupe se détacha de leurs rangs et marcha franchement sur les nôtres au pas de course. « Eh bien ! s’écria un loustic du bataillon, émule et successeur du fourrier abattu, voici maintenant les Arabes qui prennent notre rôle; ils courent comme les voltigeurs de la jeune garde dans les pièces du Cirque-Olympique ! » On vit bientôt du reste ceux qui avaient mérité cet éloge flatteur. Ce n’étaient point les guerriers des tribus insurgées, mais une petite bande d’hommes serrés les uns contre les autres, tous armés de fusils à baïonnette, et observant une sorte de cadence dans leur rapide allure. «Je reconnais les réguliers d’Abd-el-Kader! s’écria Serpier. L’émir a envoyé un détachement de cette troupe d’élite pour soutenir la révolte des tribus. » Laërte courut à l’endroit où les réguliers se précipitaient, et il put alors voir de près ces hommes, dont, sans s’en rendre compte, il s’était toujours occupé. Ces réguliers étaient vêtus à la manière de nos zouaves, mais ils avaient dans la stature et dans le visage quelque chose de plus poétiquement farouche que ces soldats: leurs grandes barbes et leurs hautes tailles leur donnaient un aspect de titans. Le caractère français heureusement se montre fort peu accessible à l’effet des plus imposantes apparences. Nos lestes et joyeux fantassins sont de la race qui de tout temps a jeté par terre les géans.

Les réguliers avaient abordé les zéphyrs. Le capitaine Bautzen se plaça au premier rang de sa troupe et ôta un instant sa pipe de sa bouche. On crut qu’il allait parler : il parla effectivement. Comme son discours se composa uniquement de ces mots que l’on traduit dans la langue écrite par des initiales et des points, je ne les rapporterai pas ici. Je me bornerai à dire que ses paroles agirent avec leur puissance accoutumée. Le capitaine Bautzen comptait un succès oratoire de plus. Il montra qu’il comprenait la portée de ce triomphe en replaçant sa pipe dans sa bouche avec un sourire de satisfaction; puis il tira son sabre, démonstration belliqueuse dont il était fort avare. Le sabre de Bautzen ne voyait le jour que dans de rares et périlleuses occasions. Le digne capitaine aurait regardé comme une puérilité sacrilège de déranger pour des bagatelles le fidèle compagnon attaché à ses flancs. Son sabre cette fois pouvait se montrer sans se compromettre, car les réguliers vinrent se jeter de tout leur élan sur les baïonnettes des zéphyrs. Ces baïonnettes ne plièrent point; elles demeurèrent, quelques secondes après ce choc, triomphantes et empourprées. Puis Bautzen, obéissant à une inspiration qui cette fois n’avait besoin d’aucun mot pour être comprise, passa de la défense à l’attaque, et se jeta sur les ennemis à son tour. Serpier approuva ce mouvement offensif, qu’il appuya vigoureusement avec la légion. Les réguliers furent rejetés sur leurs al-