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d’un combat et où l’on célèbre une victoire. Un candélabre acheté chez un Juif algérien, ancien ornement peut-être d’une synagogue, occupait le centre de la table. L’air était si calme qu’aucun souffle dans cette nuit admirable ne faisait trembler la flamme à l’extrémité des bougies. Zapori, placé en face de Serpier, s’était recueilli peu à peu dans une profonde émotion de bien-être. Bautzen, qui à table ne se piquait pas du laconisme qu’il pratiquait sur les champs de bataille, échangeait de bruyans propos avec Verdenay. Tous deux s’arrachaient gaîment la parole pour se raconter des histoires qui leur offraient le charme suprême de leur être également connues. Serpier associait de temps en temps ses souvenirs aux souvenirs évoqués par ses camarades. Laërte profitait, pour s’entretenir avec lui-même, de cette pétulante causerie. Jamais nos pensées intimes ne se dessinent plus hardies et plus nettes que sur un fond de tumultueux discours; elles ressemblent alors à ces glandes fusées qui traversent les gerbes enchevêtrées d’un feu d’artifice pour aller tracer des courbes audacieuses et projeter des lueurs azurées dans les espaces solitaires du ciel. Laërte savourait l’heure présente. Il s’applaudissait du tour qu’il avait donné à sa vie. Il remerciait Dieu du combat auquel il avait déjà pris part, et appelait de toutes les forces de son âme une longue suite de combats nouveaux. Tout en se livrant à ces vœux homicides, il se sentait pénétré pour ses compagnons de repas d’une bienveillance singulière, de cette immense affection qui souvent est la charité des bouteilles. Ce fut dans cette disposition d’esprit qu’il alla, au sortir de table, se promener avec Serpier entre les lauriers-roses du ruisseau.

Les deux jeunes gens, rendus à eux-mêmes, s’abandonnaient à des épanchemens où se trahissaient l’originalité et l’élévation de leur esprit, quand un grand bruit les tira de cet entretien, doux comme une rêverie. Serpier avait voulu que les soldats attachés à son service personnel et à celui de ses convives prissent leur part de son festin, et il les avait autorisés à s’asseoir autour de la table qu’il venait de quitter. Or ce vacarme inattendu était causé par une plaisanterie sortie de l’esprit inventif d’un zéphyr qui prêtait au capitaine Bautzen un concours plus amical que respectueux. Ce zéphyr, en ses jours de gaîté, se donnait à lui-même le titre bizarre de professeur de magie parisienne. Il avait débuté, avant d’entrer au service, par les tours les plus hasardeux de la prestidigitation. Le caractère de son ancien état s’était confondu chez lui avec un caractère tout nouveau-né des mœurs africaines, et en avait fait le plus étrange personnage. Malgré le rôle plus humble que lui assignait son titre d’invité, c’était le zéphyr de Bautzen qui s’était chargé de faire les honneurs à la table de Serpier. Il avait reconstruit avec une dextérité merveilleuse le magnifique pâté, ébréché