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que nous possédons est surchargée de trilles et d’ornemens de toute nature. Parmi les virtuoses qui chantaient avec Caffarelli dans l’opéra Germanico in Germania, libretto de Nicolo Coluzzi, se trouvait Salimbeni, un sopraniste, élève aussi de Porpora, qui a longtemps vécu à Berlin, où il a charmé le grand Frédéric. Après son début éclatant, Caffarelli parcourut l’Italie, émerveillant les uns, charmant les autres, et gagnant partout des sommes considérables. Il retourna à Rome en 1728, où son succès fut encore plus grand que la première fois, surtout auprès des femmes, dont Caffarelli devint l’idole. On se le disputait, on se l’arrachait, on l’enlevait mystérieusement sans même consulter son goût. Le mari d’une haute et puissante dame l’ayant trouvé dans une position non équivoque, Caffarelli fut obligé de se sauver à travers un jardin et de se cacher dans une citerne, où il passa toute une nuit à méditer sur les conséquences des passions humaines. Il faillit laisser au fond de ce puits ses trilles, ses grupetti, toutes les fleurs de son merveilleux gosier. Caffarelli en fut quitte pour un gros rhume, qui l’empêcha de chanter pendant un mois. Ce n’était pas tout d’avoir échappé à la première fureur de ce mari maussade, qui entendait si peu les mœurs de son temps. La dame qui protégeait le sopraniste crut qu’il était prudent d’entourer son bien-aimé de quatre spadassins, qui avaient ordre de le suivre partout et de veiller sur ses jours. Enfin ce charmant canarino quitta Rome vers 1730, et alla porter ailleurs son ramage et ses séductions innocentes. Où se rendit Caffarelli après son départ précipité de Rome? Rien n’est plus difficile que de suivre ces oiseaux de passage et de trouver la date précise de leurs pérégrinations à travers le monde. M. Fétis dit que Caffarelli alla en 1730 à Londres[1], tandis que le docteur Burney assure que ce n’est qu’en 1738 que le célèbre sopraniste vint en Angleterre. Cette dernière date est confirmée par M. Schoelcher dans la Vie de Handel, qu’il a publiée à Londres en 1857. C’est dans un opéra de Handel, Faramondo, que Caffarelli s’est produit pour la première fois devant le public anglais. Son succès y fut immense, et pendant les quelques années qu’il a passées en Angleterre, il gagna des sommes considérables, et fut comblé de toute sorte de faveurs. Caffarelli retourna en Italie, chanta tour à tour à Venise, à Florence, à Naples, où il produisit un plus grand effet encore qu’à Londres. C’est pendant l’un des séjours qu’il fit dans cette grande ville, pleine de conservatoires, de maîtres illustres et de chanteurs de premier ordre, que Caffarelli entendit parler avec de grands éloges d’un jeune confrère, le sopraniste Gizzielo, qui débutait à Rome. Voulant s’assurer par lui-même du mérite réel de ce nouveau venu dans la carrière, Caffarelli prit la poste, arriva furtivement dans la capitale du monde chrétien, où il avait eu une si belle aventure, et se rendit au théâtre enveloppé dans un grand manteau. A peine eut-il entendu le jeune sopraniste, que, saisi d’admiration, il

  1. Biographie universelle des Musiciens, première édition.