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qui était aussi à Naples dans cette même année de 1764, écrivait au docteur Burney qu’il avait entendu Caffarelli et qu’il en avait été touché (he touched me). Le docteur Burney, qui visita Naples en l’année 1770, rencontra Caffarelli et l’entendit chanter à un âge déjà avancé. « Aujourd’hui mardi, 6 novembre, dit-il, j’ai eu l’honneur de diner avec lord Fortrose. La compagnie était nombreuse et surtout musicale. Barbella et Orgitano y étaient invités. Toute la compagnie était dans la crainte de ne point voir Caffarelli, lorsqu’il arriva. Il était en belle humeur, et, contre toute attente, à peine fut-il entré qu’on obtint de l’entendre chanter. Il a maintenant plusieurs notes faibles dans la voix, mais il possède encore une exécution suffisamment remarquable pour convaincre ceux qui l’entendent qu’il a dû être un chanteur bien étonnant. Il s’accompagna lui-même sur le clavecin. Expression et grâce sont les principales qualités de son talent. Caffarelli me proposa de passer une journée ensemble et de l’employer à causer sur des questions musicales. Il ajouta même que ce serait trop peu pour tout ce que nous avions à dire sur un pareil sujet. Quoique très riche, ce célèbre virtuose chante encore, pour de l’argent, dans les églises et dans les concerts. » Un autre voyageur anglais parle ainsi du grand sopraniste : « Caffarelli est un homme de très bonne mine, très poli, et parle avec beaucoup d’aisance. Il me demanda des nouvelles de la duchesse de Manchester et de lady Francis Shirley, qui, lorsqu’il était à Londres, l’avaient honoré de leur protection. »

Naples était la résidence habituelle de Caffarelli, la ville où il revenait volontiers après ses longs voyages à travers l’Europe. Il y possédait une maison somptueuse qu’il s’était fait bâtir lui-même, et où il vivait entouré de considération. Un soir de l’année 1773, Caffarelli assistait, au théâtre Saint-Charles, à la première représentation d’un opéra de Jomelli, Iphigénie en Aulide[1]. Comme les chanteurs rendaient assez mal la pensée du maître : « temps heureux de ma jeunesse, s’écria Caffarelli avec exaltation, où êtes-vous? N’en doutez pas cependant, monsieur, dit-il à Saverio Mattei, qui rapporte l’anecdote dans ses mémoires sur la vie de Métastase, cette musique divine sera bientôt sur tous les clavecins, et on l’aimera tant qu’il y aura du goût parmi les hommes. »

Caffarelli avait un neveu qu’il aimait beaucoup. Il lui laissa toute sa fortune avec le duché de Santo-Dorato, qu’il avait acheté pour lui. Il est mort à Naples le 1er janvier 1783, fort âgé. Tous les biographes rapportent que Caffarelli avait fait mettre sur la façade de la maison qu’il s’était fait bâtir cette audacieuse inscription : « Amphion a construit Thèbes avec sa lyre, et moi cette maison : Amphion Thebas, ego domum. » A quoi un plaisant aurait répondu : « Oui, mais ille cum, tu sine ! »

Caffarelli était grand, bien fait, d’une figure charmante. Il eut de nom-

  1. Le chef-d’œuvre de Gluck est de 1774.