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intérêts particuliers de la Prusse, et de l’opposition déclarée qu’ils rencontrent. Il s’agit donc de l’épisode le plus récent des affaires d’outre-Rhin et de la principale cause des troubles qui agitent profondément l’Allemagne aujourd’hui.

Il est bien vrai qu’on respire à Berlin la vive atmosphère d’un grand pays. La physionomie extérieure de la ville en raconte déjà la puissance et l’ambition. Cette profusion de monumens accumulés à l’extrémité des Tilleuls comme sur l’ancien Forum romain, ces colonnes, ces statues innombrables, ces portiques, ces arcs de triomphe, ces fresques aux prétentieuses et obscures allégories, ces magnifiques musées enfin, tout cela est d’un riche parvenu peut-être, mais d’un parvenu qui s’est fait sa place et qui réclame autant d’avenir que les autres comptent de passé. Charlottenbourg, Sans-Souci et Potsdam n’offrent pas d’autre aspect. Bien que la nature s’y montre plus indulgente que dans tout le reste de la Prusse, c’est la main de l’homme qu’on y reconnaît avec la trace de la volonté humaine ; la persistance des princes de la maison de Brandebourg a créé ces lieux de plaisir rivaux de Marly et de Versailles. Toute la vigueur de l’esprit moderne, la Prusse l’a invoquée pour son œuvre. Encore aujourd’hui l’université de Berlin, bien qu’elle ait perdu quelques-uns de ses plus grands noms, offre un foyer d’activité intellectuelle et morale plus ardent que tous ceux des autres universités allemandes. Créée en 1810, au milieu même des humiliations de la Prusse et comme en défi aux menaces de l’avenir, elle s’est associée, dès les mémorables années qui ont suivi, à l’essor national, alors que ses professeurs Savigny, Schleiermacher, Marheineke, Wolf, Eichhorn, Boeckh, Fichte, s’engageaient comme volontaires, alors que Niebuhr s’applaudissait de ce que ses mains devinssent calleuses au contact du fusil. Cette grande école n’a pas cessé de représenter fidèlement le génie de l’Allemagne et celui de la Prusse en particulier ; son enseignement est vivant : il n’a jamais cessé d’être historique et même politique aussi bien que savant et érudit. Aujourd’hui même, à côté d’archéologues, de linguistes, d’hellénistes comme Gerhard, Lepsius, Boeckh et Bopp, elle compte des historiens tels que Raumer et Ranke, et des politiques libéraux tels que MM. Gneist, Virchow, Droysen, qui ne dissimulent pas une ambition volontiers excessive pour l’avenir de leur patrie.

Ils sont d’accord, on doit le reconnaître, avec un parti assez nombreux