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stupeur et méfiance ; il ne comprenait rien à ma traduction latine, mais certaines formules prétendues arabes ou juives, et qui, sans être réellement d’aucune langue, sont communes à presque tous les sorciers de campagne, le frappaient de respect.

— Où allez-vous ? demanda-t-il.

— C’est à toi de me répondre, lui dis-je d’un ton emphatique ; où vas-tu ?

— À un endroit que tu ne connais pas, répondit-il avec un accent craintif malgré le tutoiement qu’il se croyait forcé d’adopter.

— Je connais tous les endroits, repris-je, curieux de pénétrer le mystère de ses pratiques.

— Comment s’appelle, dit-il, la maison qui est de travers, entre La Seyne et Tamaris ?

— La bastide Roque.

— Combien y a-t-il d’ici ?

— Par terre, sept lieues.

— Et qu’est-ce qui demeure dans la bastide Roque ?

— Une belle fille.

— Qu’est-ce qu’elle demande ?

Ici je fus embarrassé, car la surprise des questions à moi adressées égalait la surprise produite par mes réponses. Après un instant d’hésitation, je repris : — La belle fille demande un philtre pour être aimée.

— Qui doit le boire ?

— Un officier de marine.

— Qui s’appelle ?…

— Tu le sais, toi, comment il s’appelle ?

— Oui. Son nom commence par la.

— Et finit par de.

— Et le milieu fait…

Flora ; y sommes-nous ?

— Elle vous a donc consulté aussi, la fille ?

— Non ; mais je sais.

— Vous mentez ; elle vous a envoyé aussi pour cueillir et consacrer !… Où sont vos herbes ? et vos cendres ?

— Là ! lui dis-je en lui montrant mon front avec une forfanterie bouffonne qu’il prit au sérieux.

— Alors, reprit-il triste et mécontent, je n’ai rien à faire ; je peux m’aller coucher !

— C’est le cas de dire que je t’ai coupé l’herbe sous le pied, n’est-ce pas ?

— Ça m’est égal, répondit-il avec dédain, je suis payé ; mais si les bourgeois s’en mêlent à présent !…