Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il descendit le sentier avec l’agilité d’un chat, grommelant aussi longtemps que je pus l’entendre.

J’allai passer la nuit à Turris, songeant à cette bizarre rencontre, à l’imprudente superstition de cette métisse qu’on accusait de sorcellerie et qui donnait prise aux persécutions par ses folles croyances. Je songeais surtout à ce La Florade dont je fuyais la présence, et dont le nom me poursuivait jusque dans les lieux où je croyais pouvoir être seul avec les loups. Je comptais retourner voir lever le soleil de la cime du Coudon, afin de posséder dans mon souvenir ce grand spectacle d’un immense et magnifique pays éclairé dans les deux sens opposés ; mais le vent d’est s’éleva durant la nuit, et, bien que le hameau fût un peu préservé de sa rage par la cime crénelée de la montagne, des tourbillons refoulés vers le nord arrivaient dans l’échancrure de la croupe avec des hurlemens et des chocs formidables. Je m’étais casé dans une vieille maison occupée par des gens propres et hospitaliers. Le chef de famille était contre-maître dans une verrerie située auprès des sablières, à la porte du hameau. La tempête et l’excitation de la marche m’empêchèrent de dormir. J’ai pu étudier, durant ce printemps-là, l’accent et l’intonation des vents de la Provence. Le mistral, qui vient de la vallée du Rhône et qui passe à travers les montagnes, a l’haleine courte, le cri entrecoupé de hoquets qui arrivent comme des décharges d’artillerie. Le vent d’est, qui passe au pied des Alpes de Nice et rase la mer, apporte au contraire sur le littoral de Provence des aspirations d’une longueur démesurée, des sanglots d’une douleur inénarrable.

Je songeais malgré moi à la villa Tamaris, exposée par le prolongement de la presqu’île à cette fureur des rafales. Je songeais surtout à l’austère veillée de la marquise, seule dans sa chambre, étiquetant des plantes ou repassant ses auteurs pour la leçon du lendemain à son fils, maintenant endormi sous ses yeux. — Mais était-elle toujours seule, la sainte et digne femme ? Le petit salon du rez-de-chaussée n’était-il pas déjà envahi par les amis nouveaux ? La Florade n’était-il pas là, avec Pasquali ou quelque autre, pendant qu’au sommet du Coudon brûlait peut-être encore un peu de cette flamme magique destinée à raviver celle de son amour pour la pauvre Nama ?

Le lendemain, quand je me levai, le Coudon avait disparu, le hameau était dans un nuage. La pluie ruisselait en torrens fantasques sur les pentes de la montagne. Les pluies de cette région sont insensées, sans intervalle d’un instant. Personne ne sort. Les Provençaux aspirent continuellement à ce rare bienfait, qui les consterne par son abondance quand il arrive.

Il n’y avait aucun moyen de transport pour retourner à Toulon.