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six mille lieues à toute vapeur

m’est bien égal, je n’aime pas New— York. Ce n’est pas là qu’il faut voir l’Amérique. C’est déjà, je crois, la Babylone de sa corruption ; mais n’est-ce pas le sort de toutes les grandes villes ? Ferri nous a lu à New-York des lettres sur l’Amérique, qu’il adresse au colonel de Franconnière, et qui seront publiées, je l’espère. Ce sera pour toi le complément aimable et sérieux de mon journal d’artiste et de fureteur. Je n’ai pas besoin de te dire que ces lettres sont un travail excellent et charmant comme celui qui les écrit.

21 septembre. — Nous quittons New-York à dix heures du matin parle Long-Sound, c’est-à-dire le détroit entre Long-Island et les côtes du Connecticut. Nous étions arrivés par la rive opposée. Nous suivons longtemps l’énorme superficie que New-York couvre de ses faubourgs, ensuite des côtes plates. À six heures du soir, la brume nous gagne.

22 septembre. — Toute la nuit, on cloche et on siffle en cas de rencontre, ce qui fait qu’on ne dort guère. — Brouillard toute la journée. — La mer n’est pas bonne. À trois heures, nous sommes à Boston ; mais tout le monde reste à bord jusqu’à demain. En fait de villes tirées au cordeau, la curiosité est un peu émoussée.

Boston, du 23 au 26 septembre.

Pourtant non, celle-ci n’est pas alignée en carrés comme les nouvelles cités américaines : elle a encore un peu de physionomie ; en revanche, elle est mal pavée, et les rues sont boueuses ; mais elles sont plus tranquilles qu’à New-York, et on s’y reconnaît mieux. Les maisons sont en brique rouge, à angles de granit, jalousies vertes, cheminées blanches ; parfois quelques marches de perron et un péristyle dans le goût grec-américain. Le parc, situé au milieu de la ville, est joli. Un vieux orme, l’unique vestige de l’antique forêt, est devenu un monument respectable. Une pièce d’eau est le reste du petit lac qui dormit jadis sous les grands arbres. Pauvre lac, emprisonné dans une bordure de granit, que pense-t-il du jet d’eau artificiel qui agite aujourd’hui sa surface ?

Les environs n’ont pas grand intérêt pittoresque. D’un monticule où j’ai été, la vue s’étend au loin sur des prés marécageux hérissés de quartiers de roc qui se confondent avec les troupeaux épars dans la campagne. L’horizon est fermé par des collines rocailleuses, et par là c’est peut-être joli, mais c’est trop loin pour l’œil, et le temps manque à mes jambes.

On trouve à Boston plus de politesse et de propreté que dans le reste de l’Amérique. C’est l’indice d’une société plus choisie. Nous sommes ici dans la région sociale la plus élevée, dit-on, des États-