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Elle n’a pas trente ans encor ; mais la jeunesse
Que ne dorent l’amour ni la maternité
Demeure sans parfum, sans duvet velouté,
Comme un fruit que jamais le soleil ne caresse.

Son front pâle est plissé, ses yeux se sont flétris
À veiller aux lueurs d’une lampe malsaine ;
Sa taille s’est voûtée, et sa robe de laine
Flotte autour de son sein aux contours amaigris.

Hier, pour achever ce lot de broderies,
Elle a passé la nuit, ses doigts sont engourdis ;
Et ce matin voici que le fin plumetis
Déroule sa guirlande aux torsades fleuries.

Que de maux ont coûtés ces festons délicats !
Combien de points, combien de lentes aiguillées !
Que de larmes aussi promptement essuyées !
Celle qu’ils vont parer ne s’en doutera pas…

Cette blanche batiste, où la féconde aiguille
Sème de frais bouquets aux feuillages menus,
Ornera le corsage et les bras demi-nus
De quelque insoucieuse et folle jeune fille.

Dans le bal bourdonnant, quand la valse, le soir,
Fera tourbillonner la gaze et la dentelle
Autour de son corps souple et penché : « Qu’elle est belle ! »
Diront les jeunes gens accourus pour la voir…

Et toi, pendant ce temps, brodeuse résignée,
Tu sentiras des pleurs voiler ton regard bleu,
Et dans ton cœur meurtri s’éteindre à petit feu
Ta frêle vie, hélas ! si durement gagnée.

Elle est lasse et malade. Un âpre accès de toux
L’épuise… Elle interrompt ce travail qui la tue,
Et ses grands yeux souffrans errent dans l’étendue…
Le soleil luit plus clair, et le vent est plus doux.

Lentement, mollement, dans l’air qui les balance,
De longs fils argentés, plus fins que des cheveux,
Montent, montent, légers, ondoyans, vaporeux ;
Avec leurs écheveaux le vent joue en silence.

Ils passent. Quelques-uns attachent aux rameaux
Leurs transparens tissus, flottantes broderies ;
D’autres vont se mêler aux herbes des prairies.
Tout leur est un appui : chaumes, buissons, roseaux.