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peut-être le péril, mais que la force des choses l’oblige à ménager, sinon à couvrir de son indulgence.

Il en sera sans doute ainsi tant que dureront les hésitations du gouvernement à l’endroit de la question romaine. Le gouvernement ne peut sortir des embarras, et l’on pourrait dire de la fausse position que cet état de choses lui crée, qu’à la condition de prendre une résolution conforme aux nécessités de l’Italie et à la logique de sa propre politique antérieure. Il faut que notre intervention à Rome et que l’agonie du pouvoir temporel de la papauté aient un terme ; mais, nous le reconnaissons, l’acte qui mettrait fin au pouvoir temporel aurait des conséquences infaillibles que le gouvernement ne semble point encore prêt à accepter. Il nous semble impossible d’enlever à la papauté la souveraineté temporelle sans que, par un contre-coup immédiat, la liberté politique la plus large pénètre et transforme les institutions françaises. En effet, l’indépendance que les catholiques cherchent pour leur chef et pour eux-mêmes dans le pouvoir temporel des papes ne peut, une fois perdue, trouver de compensation légitime et d’équivalent réel que dans les libertés politiques les plus étendues solidement établies au sein des états catholiques. La conséquence est rigoureuse, il est impossible d’y échapper. À mesure que vous affaiblissez le prince dans le pape, vous devez accroître la somme des libertés générales où les catholiques pourront trouver la garantie de leur indépendance religieuse. Pour être assurés de leur liberté de conscience, les catholiques devront posséder et la liberté de la presse, et la liberté de réunion, et la liberté d’association. Toute mesure du pouvoir politique qui les entraverait, les gênerait ou les tracasserait dans l’exercice de ces libertés, devenues des garanties de l’indépendance d’une croyance et de la liberté d’un culte, prendrait bientôt un air de persécution religieuse, et réagirait de la façon la plus funeste sur le pouvoir. Mais ces libertés, vous ne pouvez les accorder aux catholiques par exception et en privilège. Les catholiques ne seront admis à en jouir que si elles sont le domaine et le patrimoine de tous. À nos yeux, l’abolition du pouvoir temporel et un vaste mouvement de réforme libérale dans nos institutions sont deux actes solidaires qui s’appellent l’un l’autre avec la nécessité impérieuse que les lois naturelles ont dans le monde moral aussi bien que dans le monde physique. C’est cette nécessité que M. de Cavour, à qui ses ennemis n’ont jamais refusé ni la perspicacité, ni la franchise, ni le courage, avait aperçue dès le premier jour, quand il posa sa belle formule : « l’église libre dans l’état libre. » C’est cette portée de la sécularisation de Rome que comprend bien M. Ricasoli, lorsque dans ses discours et ses dépêches il annonce, d’un ton un peu mystique, qu’en abolissant le pouvoir temporel des papes, l’Italie aura la gloire d’ouvrir dans la civilisation moderne une ère nouvelle d’émancipation politique. Quant à nous, qui toujours nous sommes appliqués à pénétrer d’avance les conséquences des événemens qui se sont accomplis et des impulsions qui ont été données dans les affaires d’Italie, c’est les yeux ouverts sur cette