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plus considérable dans la Pensylvanie, dans New-Jersey, dans l’Ohio, Massachusetts, et la terre, bien que de moindre qualité, s’y vend plus cher. L’esclavage enrichit les propriétaires d’esclaves, mais il appauvrit les états qui lui sont ouverts. Dans la partie septentrionale de la Virginie, l’émigration allemande a produit d’utiles résultats : elle y forme un groupe compacte de cultivateurs actifs, répugnant à l’esclavage et s’efforçant de faire prévaloir le travail libre ; or il est démontré qu’un bon ouvrier blanc fait en moyenne la tâche de quatre esclaves. Il y a là le principe d’une rénovation que les propriétaires enrichis par le travail des noirs ne voient qu’avec envie et déplaisir ; de là la scission qui s’est manifestée dans les derniers événemens politiques entre deux parties de la Virginie.

Si M. Frœbel est l’adversaire persévérant de l’esclavage, cependant il sait bien qu’une grande révolution ne s’accomplit pas d’un mot et en un jour ; aussi n’en demande-t-il pas la suppression immédiate au nom des principes de la liberté et de la dignité humaine. Une telle mesure, irréfléchie et précipitée, n’a pas eu d’autre résultat à Haïti que de jeter cette terre admirable dans des crises de désordre d’où elle n’est pas encore sortie, et elle a ruiné d’un jour à l’autre les colonies auxquelles elle a été appliquée. Il n’est malheureusement que trop vrai, les idées, si élevées et si justes qu’elles soient en principe, ne sauraient prévaloir subitement contre des intérêts même iniques, mais puissans et devenus vivaces à la suite d’un long usage. Que fera le noir élevé tout à coup à la dignité d’homme libre, dont il ne connaît pas bien les droits et dont il est incapable encore de sentir les devoirs ? et ne lui sera-t-il pas trop facile alors de confondre la liberté avec tous les abus de la licence ? Aussi bien faut-il étudier sa nature, chercher quel parti on en peut tirer, effacer les plaies dont un long avilissement et peut-être une infériorité native ont marqué son esprit et son âme, lui faire une éducation et ne le présenter à la société libre que lorsque ses qualités auront mérité qu’elle lui soit ouverte. Où sont les remèdes ? Quels sont les moyens d’en venir à cette heure de la rédemption que la religion et la philosophie appellent de leurs vœux ardens ? M. Frœbel a consacré cinq chapitres de son livre à cette étude, et il arrive à cette conclusion que l’esclavage, sous sa forme actuelle, ne peut pas subsister indéfiniment, ni même longtemps encore aux États-Unis, parce que le travail des esclaves est incapable de soutenir la concurrence de celui des ouvriers libres appartenant aux races actives. Les métis aussi apportent un labeur plus soutenu et plus économique. Dans plusieurs états de création récente, par exemple au Kansas et au Nebraska, les propriétaires d’esclaves ont à lutter contre des Européens actifs, souvent intelligens, stimulés par l’intérêt personnel, qui pratiquent sur une vaste échelle l’élève du bétail, et qui même ont commencé à introduire le coton dans les parties du sol favorables à cette culture. Ces considérations portent en elles une espérance qui, par le grand mouvement de migrations contemporaines, ne semble pas irréalisable. Depuis que les pages où elles sont développées ont été écrites, des événemens que l’auteur ne pouvait qu’imparfaitement prévoir se sont produits ; la lutte des états du nord et de ceux du sud amènera des complications inattendues. Cependant rien n’est enlevé aux espérances de libération, parce que le courant de l’émigration ne continuera pas moins de se porter vers les États-Unis tant que l’équilibre