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un convoi doit avoir un chef de train, le wagon master, que les Mexicains appellent mayordomo ; il exerce dans le désert une autorité assez analogue à celle d’un capitaine de vaisseau sur son bâtiment ; c’est à des Anglo-Américains que cette fonction est habituellement confiée. Le convoi emporte comme provisions de bouche de la farine, du lard, ces excellentes fèves mexicaines qui sont fameuses sous le nom de frigoles, pas d’eau-de-vie (on ne l’emploie qu’à titre de médicament), mais beaucoup de café, dont l’effet est excellent dans ces longues traversées. Les riches marchands ont soin de se munir aussi de conserves de légumes, d’huîtres, de homards, de jambons, de fruits, de confitures, de friandises et même de Champagne. La consommation des sardines est si grande dans les prairies, que le chemin d’Indépendance à Santa-Fé est marqué par les boîtes de fer-blanc vides que les voyageurs abandonnent derrière eux.

Les caravanes ont une provision d’armes et de munitions ; chaque voiturier doit posséder une arme à feu en bon état ; les chefs portent des revolvers et des fusils doubles. Les chariots, dans les intervalles de marche, forment ce que l’on appelle un corral, c’est-à-dire trois quarts d’un cercle ; le dernier quart reste ouvert, et donne accès dans l’intérieur de ce camp ; les espaces intermédiaires sont fermés par des cordes s’étendant des roues d’un char à celles d’un autre. Les mulets enfermés dans cette enceinte sont saisis à l’aide du lasso, quand il s’agit de les atteler ; ils se prêtent généralement fort mal à cette manœuvre, et se précipitent tous, les têtes baissées et tournées du même côté vers un point du corral, en sorte qu’il faut quelquefois un temps considérable pour les saisir et les atteler. Quand les bêtes sont faites au travail, il suffit généralement d’une heure et demie pour préparer les deux ou trois cents mulets de vingt ou trente chariots. Dans le campement et dans la marche, les voitures ont chacune un rang déterminé ; on s’avance, quand on le peut, sur une double file, et le convoi se tient, aussi serré que possible, dans la crainte d’une attaque des Indiens. On part de grand matin ; à onze heures, on s’arrête pour faire la cuisine, et mener paître et boire le troupeau. Quelquefois on voyage la nuit et on se repose le jour. Chacun, pendant les stations, fait à tour de rôle une faction de deux heures : sous cette garde, les animaux restent la nuit au pâturage ; mais au point du jour, moment que les Indiens choisissent ordinairement pour leurs attaques, on les fait rentrer dans le corral. Le voyageur s’étend sur le sol, enveloppé de couvertures de laine ou de peaux de buffle, la selle sous la tête, le fusil près de la main ; on s’habitue, paraît-il, assez promptement à ce genre de couche, quand le sol est sec, peu raboteux, et qu’il ne pleut ou ne neige pas. Si le temps est mauvais, il faut chercher abri sous un chariot et tâcher d’éviter les flaques d’eau. Les voyageurs délicats se munissent d’une tente ; mais l’ennui de la dresser et de la plier est une désagréable compensation aux services qu’elle rend lorsqu’il ne fait ni vent ni pluie, car elle est en pareil cas traversée ou jetée à terre. Quelquefois aussi on se munit de voitures de voyage, dont les sièges se convertissent en lit ; mais c’est là un attirail généralement dédaigné. Les veilles sont une des nécessités pénibles du voyage, surtout dans les hautes régions, où les nuits sont excessivement froides. Aucun voyageur n’est exempt de ce service, à l’exception