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à la marquise en se retirant, et en ne revenant pas que je ne fusse autorisé à le ramener. Il céda sur ce point, mais en m’arrachant la promesse de faire révoquer cet ordre d’exil, si j’acquérais la conviction des bonnes dispositions de la Zinovèse. Quant au dernier point, c’est tout ce que j’avais à faire, et à faire avant tout. J’écrivis à la marquise le résumé de l’entretien que je venais d’avoir avec La Florade. Je chargeai Gaspard de lui porter ma lettre à l’heure où elle s’éveillait ordinairement, et, tandis que le baron dormait encore, je pris le chemin du Baou-Rouge.

Le vent s’était élevé tout à coup et la mer déferlait sur le rivage. Quoique le ciel fût d’une limpidité admirable, le cap Sicier présentait un phénomène que j’avais déjà observé une ou deux fois dans la saison. Un grand nuage, battu du mistral dans quelque région élevée du ciel, s’était laissé tomber sur la haute falaise de la presqu’île et s’y tenait littéralement collé comme un manteau. Le vent passait au-dessus sans pouvoir l’en détacher, et au milieu d’un paysage inondé de lumière ce linceul blanc, immobile sur la montagne verte, avait quelque chose d’étrange et de lugubre.

Comme je passais près du fort abandonné, j’en vis sortir Marescat chargé d’une botte de plantes sauvages. Le brave homme ne préparait pas de philtres comme le charbonnier du Coudon. Il semblait faire quelque chose de pis, car je remarquai plusieurs variétés vénéneuses parmi les ombellifères dont il s’était pourvu.

— Ah ! ah ! répondit-il à mon observation, j’étais bien sûr ; n’est-ce pas que c’est des méchantes herbes ? Mais, puisque vous voilà, je n’aurai pas la peine d’aller vous trouver, car j’ai des choses à vous dire. Madame m’a fait commander hier soir qu’elle n’irait pas en promenade aujourd’hui s’il y avait mistral, et nous en tenons pour toute la journée. J’ai donc donné récréation à M. Botte, qui n’en est pas fâché, la pauvre bête, et je vas faire, ce matin, le botanicien avec vous, tant que vous ne me direz pas : Marescat, va-t’en, j’ai idée d’être tout seul.

— Fort bien, mon brave ! Mettez là vos herbes, asseyons-nous…

— Non, non, monsieur, dans le fourré. J’aime autant qu’on ne nous voie pas examiner ça.

Quoique nous fussions dans une solitude absolue, je cédai à la fantaisie de Marescat, et je l’engageai à s’expliquer d’abord.

— Ah ! voilà, répondit-il, c’est des choses qui sont difficiles, et que peut-être que vous direz que j’ai tort de m’en mêler ?

— Non, je sais vos bonnes intentions, et d’ailleurs, si vous avez tort, je vous le dirai de bonne amitié. Parlez.

— Alors, monsieur, voilà ce que c’est. Vous allez peut-être au poste du Baou-Rouge ?