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Marescat et de la mienne, un excès de zèle, mais que la prudence n’était jamais regrettable, lors même qu’elle ne conjurait que les souffrances de l’imagination. Je continuai donc ma route, et j’arrivai au poste des douaniers vers neuf heures du matin.

Le brigadier avait déjà commencé sa ronde. Je trouvai la Zinovèse seule avec ses deux petites filles, repassant du linge qu’elle plissait avec un grand soin, et en apparence avec une grande présence d’esprit. L’aînée des enfans donnait à sa sœur une leçon de lecture, et de temps en temps se levait pour reporter près du feu les fers dont sa mère s’était servie et lui en rapporter d’autres chauffés à point. Avant de me montrer, j’examinai un instant par la porte entr’ouverte cet intérieur propre, rangé, luisant, ces enfans bien peignés, soumis et attentifs, cette femme active et sérieuse, ces images de dévotion, ce lit d’un blanc irréprochable, orné au chevet d’une palme dorée et bénite passée dans le bras d’un crucifix noir. Rien n’annonçait là des préoccupations sinistres, et la délicate figure de la Zinovèse avait même une expression de recueillement austère que je ne lui connaissais pas. Pourtant son œil s’arrondit sous sa paupière contractée en me voyant. — Ah ! vous voilà ! dit-elle, et, allant droit au but de sa rêverie : Me rapportez-vous ma bague ?

— Quelle bague ? Celle que la marquise vous a donnée hier ? Vous l’avez déjà perdue ?

— Mieux vaudrait ! Je la retrouverais peut-être, tandis que celui qui me l’a prise ne me la rendra pas !

Je feignis d’ignorer tout afin de me faire raconter l’incident. La Zinovèse, voyant que l’aînée de ses filles écoutait d’un air étonné, l’envoya dehors avec sa sœur, et continua en s’adressant à moi : — Il faut pourtant que vous sachiez cela, vous ! Je ne veux pas vous rendre jaloux ; mais s’il est vrai que vous soyez pour épouser la dame, vous devez prendre garde à l’officier !

— Je ne prendrai pas garde à l’officier, répondis je, empressé de détourner avant tout les projets de vengeance dont Mme  d’Elmeval eût pu être l’objet. La dame dont vous parlez ne s’occupe pas plus de lui que vous ne vous occupez de moi.

— Oui, je sais ça. C’est une femme de cœur, elle ! Que Dieu vous la conserve, et aussi le pauvre petit ! Mais l’officier, quand il veut quelque chose, est capable de tout, et vous ne devez pas lui laisser la bague !

— Non certes, elle vous sera rendue, et il vous la rapportera lui-même, j’en suis certain.

J’essayai alors de ramener la Zinovèse à des sentimens plus dignes de la confiance de son mari et de sa propre fierté. Comme elle me racontait tout ce que La Florade m’avait dit, j’avais le droit de