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poches pendant sa chute sur la falaise, on m’avait remis une de mes cartes de visite que j’étais bien sûr de n’avoir pas eue sur moi ce jour-là, et que je savais n’avoir jamais fait remettre à personne, ces cartes, d’un nouveau modèle, m’ayant été envoyées de Paris la veille seulement. La marquise seule m’en avait demandé une pour savoir si elle en ferait faire dans le même genre.

En me retraçant ce fait, j’eus un tremblement nerveux de la tête aux pieds ; mais je me défendis de cette folie. Que prouvait ce fait, sinon que la marquise, secrètement irritée contre La Florade à cause de la visite de la Zinovèse, ou méfiante d’elle-même, prête à faiblir, ou encore curieuse d’éprouver l’amour de cet audacieux, l’avait puni d’un mensonge par un mensonge semblable ? Il avait inventé ce mariage entre elle et moi. Elle en acceptait l’apparence, et tout cela parce qu’elle avait beau être un ange, elle était femme et voulait faire un peu souffrir celui par qui elle souffrait beaucoup.

Je voulus encore faire cesser l’expansion de La Florade, mais il me supplia de le laisser parler : — Puisque tu m’as rendu à la vie, laisse-moi vivre un peu, dit-il, et me souvenir que je suis un homme et non une brute. Tu sauras donc que la conduite hardie et franche de la marquise m’avait rendu la raison subitement. Je ne respecte peut-être pas assez la vertu des femmes, parce que je n’y crois pas absolument ; mais, croyant à l’amour, il faut bien que je le respecte, et jamais je n’ai eu la tentation de trahir un ami plus heureux que moi, lorsqu’il méritait son bonheur. J’ai loyalement demandé pardon à la marquise, qui a fait semblant de ne pas savoir à propos de quoi. Je lui ai juré de reporter la bague, et je suis parti pour le Baou-Rouge. J’avais du chagrin, j’ai pleuré dans les bois, oui, je me souviens d’avoir pleuré comme un enfant et d’avoir perdu là deux heures,… deux heures que je me reprocherai toute ma vie. Si j’étais arrivé au poste des douaniers deux heures plus tôt…

— Non ! ne te reproche pas cela. La funeste résolution était accomplie dans la matinée.

— N’importe, le remords est là qui m’étouffe. Pourquoi avais-je pris cette bague ? Pourquoi avais-je écrit à Nama ? Pourquoi ai-je stupidement perdu la lettre ?…

— Tu sais tous ces détails ? Qui te les a donc appris ? Je te les tenais cachés !

— Qui me les a appris ? Ah ! je m’en souviens bien, moi ; c’est le mari de la Zinovèse !

— Tu l’avais donc vu ?…

« — Oui, dans la forêt. Sa femme morte, ses enfans envoyés avec toi à Tamaris, il me cherchait… La Zinovèse avait parlé avant de mourir, elle avait dit : Venge-toi et venge-moi, et le malheureux