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rison physique et morale : viens donc trouver Yvonne avec moi, et tu verras si c’est M. La Florade qu’elle aime !

Aucune expression ne saurait peindre l’ivresse où me jeta cette révélation. Je craignis un instant de devenir fou ; mais je ne voulus pas trop penser à mon bonheur. Je tremblais de n’en être pas digne. J’avais besoin de voir Yvonne et d’être rassuré par elle-même. Oh ! qu’elle fut grande et simple, et saintement sincère dans l’aveu de son affection ! Comme elle sut éloigner de moi le sentiment pénible de mon infériorité relative, car elle est restée à mes yeux ce qu’elle était le premier jour où je l’ai vue, un être plus accompli, meilleur, plus sage et plus parfait que tous les autres, et que moi par conséquent. Je n’ai jamais songé que sa naissance fût un privilège dont mon orgueil put être flatté, ni sa fortune un avantage qui pût rien ajouter à notre commun bonheur. Je n’ai pas eu non plus la crainte de ne pas aimer assez son fils. Je ne pouvais pas les séparer l’un de l’autre dans mon amour, et je n’aurais pas compris qu’elle me fît promettre de le rendre heureux. Aussi le mit-elle dans mes bras en me disant : — À présent que je peux mourir sans crainte pour son avenir, la vie me paraîtra plus belle, et vous ne verrez plus jamais un nuage sur mon front.


Par un sentiment de convenance pour son fils, Mme d’Elmeval ne voulait pas se remarier avant d’avoir amplement dépassé le terme de son veuvage. Notre union fut donc fixée pour la fin de l’automne, et comme la chaleur de l’été méridional paraissait moins favorable à Paul que la brise du printemps, nous convînmes d’aller avec lui et le baron passer quelques semaines auprès de mes parens en Auvergne, et le reste de l’été en Bretagne dans les terres de la marquise et du baron. On tenterait là un établissement définitif, sauf à revenir au rivage de la Méditerranée durant l’hiver, si Paul ne s’acclimatait pas facilement dans le nord ; mais j’avais bon espoir pour lui dans le climat doux de la région nantaise, et la suite a justifié mes prévisions.

Je ne voulais pourtant pas quitter définitivement La Florade sans le voir délivré de cette surexcitation nerveuse qui menaçait de se prolonger, et après avoir passé le mois de juin, avec la marquise, dans ma famille, je la laissai partir avec le baron pour la Bretagne ; puis je revins m’assurer de l’état de mon malade et prendre les ordres de Mlle Roque, ainsi que cela était convenu.