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Mlle Roque n’avait pas voulu quitter son frère avant qu’il fût en état de reprendre son service. Elle continuait à habiter la bastide Pasquali, pendant qu’on lui construisait une très jolie maisonnette près de La Seyne et de mon fameux champ d’artichauts, mais en belle vue, sur un tertre, et au milieu d’un bouquet de pins converti en jardin. Toute trace de l’ancienne bastide Roque avait disparu. Elle pouvait être là fort heureuse, mais avec un mari, et la marquise, qui se flattait de lui en trouver un convenable quand son éducation serait un peu plus avancée, lui avait proposé de l’emmener pour un ou deux ans.

Mlle Roque avait pleuré beaucoup en voyant partir son amie ; mais elle avait demandé à rester encore un peu chez Pasquali, qui la traitait comme sa fille depuis qu’il l’avait vue si bonne garde-malade, et quand je revins pour la chercher, elle pleura davantage et demanda à rester tout à fait. Comme la marquise m’avait bien recommandé de ne rien laisser au hasard dans la destinée de cette bonne fille, je voulus savoir de Pasquali ce qu’il pensait d’elle et de sa résolution.

— Mon ami, répondit le bon Pasquali, laissez-la-moi ; je l’adopte pour mon bâton de vieillesse. Vous me direz que je suis encore un peu loin de la béquille, et que le bâton n’est pas bien solide. Je le sais, Nama n’est pas bonne à grand’chose dans un ménage de garçon ; mais elle a un si bon cœur, elle est si dévouée, si douce et si belle fille, après tout, que monsieur mon filleul pourrait faire pis que de l’épouser. J’ai dans l’idée qu’il y a pensé, car il n’est pas plus son frère que je ne suis ton neveu. L’historiette est toute de sa façon. La fameuse almée dont son père s’était épris à Calcutta ou au Caire était tout simplement une Alsacienne rencontrée sur la Cannebière, et qui ne lui a jamais donné aucune espèce de postérité. En me racontant cela, le coquin m’a dit qu’il dissuaderait Nama le jour où il la verrait bien guérie de son amour pour lui ; mais ce jour-là ne viendra guère, s’il continue à nous rendre visite quatre fois par semaine. Le diable m’emporte ! je crois qu’il est touché de cet amour-là ; mais il est encore si fantasque que je n’ose pas lui en parler. Vois-le donc et tâche de lui délier la langue.

J’allai trouver La Florade à son bord. Il était très changé. Ses cheveux s’étaient beaucoup éclaircis, ses yeux n’avaient pas retrouvé leur bizarre entourage coloré et leur ardente expression. Il était plus pâle, plus distingué, et d’une beauté plus sérieuse et plus douce. Ses forces étaient revenues, mais ses nerfs le faisaient souffrir encore presque tous les jours, et il se préoccupait de lui-même et de sa santé en homme qui aime la vie, qui croit à la possibilité de la perdre, et qui n’a plus la moindre envie d’en abuser. Il montra