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Angleterre, et il ne s’agit pas là vraiment d’une justice qui s’épuise à prononcer quelque amende ou quelque prison. Les juges de paix, dans leurs sessions générales, avec l’assistance du jury, bien entendu, prennent connaissance de tout cas criminel où il ne s’agit ni de meurtre, ni de félonie, ni de transportation à vie, c’est-à-dire qu’ils ont presque toute la compétence de nos cours d’assises, là même où elles infligeraient des peines afflictives et infamantes, réclusion ou travaux forcés, avec toutes leurs suites d’interdiction légale, de dégradation civique, de surveillance de la haute police. On ne peut pas dire que les juges de paix sont hauts justiciers, puisque le cas pendable leur échappe. Cependant il faut retenir ce mot, qui n’exprime pas mal la source de leur pouvoir, source que nulle révolution en Angleterre n’a troublée à fond.

Comme il a la justice, ce magistrat a la police, et même encore plus complètement : la police de toute sorte, préventive, judiciaire, réglementaire. Il procède à l’instruction des affaires criminelles, il délivre des mandats d’arrêt, il prend des mesures particulières ou décrète des dispositions générales pour le maintien de l’ordre. À cette série d’attributions ajoutez des pouvoirs administratifs fort étendus, l’évaluation de la matière imposable, le contentieux en fait d’impôt local, la réception des comptes de deniers. Il opère tantôt isolément, tantôt réuni à un ou plusieurs collègues, selon l’importance des matières, selon qu’il s’agit — soit de juger des crimes ou de voter l’impôt, — soit de juger des rixes, des différends de maître à ouvrier, — soit de délivrer des licences pour des tavernes.

Le bizarre, l’inconcevable en tout ceci, au moins pour nous, c’est l’étrange variété de ces pouvoirs accumulés dans la même main. Nous croyons bien faire en France de distinguer soigneusement les fonctions : ce qui est divisé nous semble par cela même assuré d’une bonne exécution et d’un contrôle sérieux. Nous séparons d’abord dans les localités le politique de l’administratif, l’administratif du judiciaire, entendant par politique le consentement de l’impôt. Ainsi l’autorité qui vote les taxes pour certains travaux n’est pas celle qui poursuit et surveille l’exécution de ces travaux ; en outre ni l’une ni l’autre n’applique la loi à des cas individuels, ne fait œuvre de justice. Cependant cette première division, rudimentaire et naïve, s’éclaircit ou se complique chez nous, soit dans l’ordre administratif, soit dans l’ordre judiciaire, d’une infinité de subdivisions. Un ordonnateur de dépenses, un comptable, un vérificateur de comptes, autant de fonctionnaires différens. On se met trois pour un paiement : l’un qui l’autorise, l’autre qui le fait, un troisième qui le contrôle, qui décide s’il a été bien fait.