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Et la justice n’est pas moins abondamment ramifiée. Elle a des magistrats distincts pour les poursuites et pour les jugemens. Elle a autant de juges que de matières à jugement, les uns civils, les autres répressifs, sans compter que certains sont pour le fisc, et d’autres encore pour la comptabilité. Nous poussons le scrupule jusqu’à défendre au juge d’instruction d’opiner sur l’affaire qu’il a instruite. — C’est tout autre chose en Angleterre : qu’est-ce que ne fait pas le juge de paix ? C’est lui qui instruit une affaire et qui la juge, qui juge et qui administre, qui administre et qui taxe, sans même changer de costume.

Regardez-le administrer,… il n’y a pas moyen de se croire en France. Il procède comme nos conseils-généraux au vote de l’impôt, comme nos préfets à la dépense de l’impôt, comme le conseil de préfecture sur les réclamations des contribuables ou à la vérification des comptes de deniers. — Fait-il œuvre de police ou de justice, ici encore il nous apparaît avec la même abondance et la même concentration de pouvoirs. Il fait des règlemens comme un maire ou un préfet, des actes de poursuite comme un juge d’instruction et un officier du parquet, des actes de répression comme la cour d’assises, moins quelques cas superlatifs de grand criminel.

Il ne faut pas appeler cela un pêle-mêle sauvage de pouvoirs. Tout est bien qui fonctionne bien, et sous ce régime la Grande-Bretagne s’est civilisée comme on sait. Toutefois il est permis de lui dire qu’elle entretient chez elle le moyen âge, et qu’elle offre les plus beaux restes d’une époque où la souveraineté était confondue avec le droit de propriété, et se déléguait tout entière, se concédait comme un fief. Le seigneur féodal n’est pas une espèce perdue : il existe en Angleterre, non plus avec les profits, mais avec les pouvoirs du moyen âge ; rien n’est moins pétrifié. Passez le détroit, et vous verrez des propriétaires qui votent l’impôt sans être élus par les populations, qui rendent la justice sans être légistes, qui commandent une force armée sans être militaires. Est-ce donc de leur naissance qu’ils tiennent tout cela ? Je n’irai pas jusqu’à dire oui, la chose n’est pas si claire : cela leur est accordé ou laissé aujourd’hui moins pour eux-mêmes que pour le bien public, dont ils passent pour les meilleurs gérans. Il faut convenir toutefois que le titre féodal auquel jadis ils faisaient tout cela est pour beaucoup dans cette entente du bien public. La preuve, c’est qu’ailleurs, où la féodalité a expressément péri, ces fonctions sont divisées et attribuées chacune à des conditions d’apprentissage, d’ancienneté, de mérite, tout autrement garantes de l’intérêt général et des services publics.

Ainsi, je ne veux rien outrer, je n’aurais garde de présenter ici