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le mouvement arrondi des dômes sans aucune aspérité pour arrêter le pied, rendent l’escalade dangereuse. Après avoir examiné le terrain, je permis à l’enfant de se risquer pieds nus, avec Marescat, qui était prudent et paternel, sur une masse inclinée d’une grande étendue, où un sentier tracé dans la mousse était de plus indiqué par des croix entaillées dans le grès. Quand ils eurent disparu derrière une région un peu plus élevée, Mme  d’Elmeval fit contre fortune bon cœur ; mais lorsque Paul n’était plus sous ses yeux, elle devenait visiblement préoccupée. On s’assit sur les rochers et sur les fleurs pour attendre le retour de l’enfant bien-aimé, et Mlle  Roque, qui commençait à savourer le charme de la vie au grand air, s’éloigna un peu pour explorer le ruisseau qui formait, au milieu du vallon, de ravissantes cascatelles.

Nous étions là depuis un quart d’heure, et la marquise interrogeait à chaque instant le sentier sans nous avouer son malaise, lorsqu’un cri de Nama la fit tressaillir. Elle fut debout avant que nous eussions levé la tête ; mais l’attitude et la physionomie de Mlle  Roque, qui était fort près de nous, sur une éminence, nous eurent bientôt rassurés. Elle voyait Paul avant nous, et agitait son mouchoir en signe de bienvenue. Mlle  Roque, bien qu’elle montrât beaucoup d’affection pour le petit Paul, n’était pas habituellement si démonstrative. Bientôt son cri de joie nous fut expliqué. Paul, riant et chantant, descendait la montagne sur les épaules de La Florade, qui nous le rapportait au pas gymnastique, et que le gros Marescat avait peine à suivre.

Comment s’était-il trouvé là ? Quelle navigation aérienne avait fait aborder le lieutenant de marine au sommet de ces récifs terrestres pour recevoir à point nommé le fils de la marquise à bord de ses épaules ? Nama l’avait-elle averti secrètement de notre but de promenade, ou bien Pasquali par hasard ? ou bien encore la marquise elle-même ? Il n’y avait donc pas de solitude inconnue aux promeneurs toulonnais où l’on ne dût voir apparaître ce beau gymnaste et ce grand marcheur ? Je me rappelai douloureusement la première promenade que j’avais faite avec Mme  d’Elmeval à la forêt et à la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde. Elle m’y avait donné rendez-vous ; je devais l’y rencontrer par hasard : rien n’était plus innocent. La même simplicité de relations s’était-elle établie avec La Florade ? Mais qui l’empêchait alors de partir ostensiblement avec nous ? Cette apparition, qui ne surprit et ne troubla que moi, me fit sentir que j’avais toujours des frissons de fièvre.

Je regardai la marquise, qui me parut encore plus émue et plus charmée que Mlle  Roque. Le retour de Paul, si impatiemment attendu, était-il l’unique cause du rayonnement de son regard ? Tout à coup elle se troubla. — Docteur, me dit-elle, cela me fait mal de