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richesse intellectuelle ; l’Italie en possède tant d’autres qu’il lui serait bien permis, au milieu de ses trésors classiques, de négliger cette branche modeste et secondaire. Toutefois ses enfans n’ont pas répudié cette partie de l’héritage national, et leurs oreilles, habituées aux accens des muses savantes, ne sont pas restées insensibles aux charmes de cette poésie familière.

Canzoni dei miei padri…
Che a felici d’infanzia anni imparai,
Nel mio alpestre idioma !…


s’écrie l’un de ses poètes modernes les plus aimés, et tandis que ses grands musiciens, Rossini, Donizetti, Bellini, faisaient applaudir sur toutes les scènes lyriques de l’Europe des mélodies populaires empreintes de l’énergie romagnole, de la verve napolitaine ou de la mélancolie sicilienne, des écrivains distingués, historiens ou poètes, patriotes ardens pour la plupart, tels que MM. Luigi Carrer, Tommaseo, Cantù, Tigri, Marcoaldi, Nigra, aujourd’hui ministre plénipotentiaire à Paris du roi Victor-Emmanuel, ne dédaignaient pas d’appeler l’attention sur les chants du peuple en Italie et de recueillir le contingent des diverses provinces. Si ces recherches, ces efforts isolés n’ont pas encore abouti au travail d’ensemble réclamé par Visconti, faut-il s’en étonner ? faut-il surtout désespérer de l’avenir, en présence des événemens dont nous sommes les témoins ? Au moment où l’Italie, comme les tronçons du serpent mutilé, « cherche à se réunir, » les lettres, qui ont fait une partie de sa gloire, doivent apporter leur tribut à cette œuvre pieuse. Sans doute tant de races et de civilisations superposées ont dû laisser des traces dans la constitution intime de ses provinces. Chez les peuples des Deux-Siciles dominent les souvenirs de la Grèce. La campagne de Rome offre plus d’un vestige des anciennes mœurs du Latium. Enfin certaines populations, par exemple, en Piémont, celles du Canavese (Yvrée, Verceil), en Toscane, celles de l’Apennin et des vallées adjacentes ont conservé presque intact le trésor des traditions anciennes, étrusques, latines ou celtiques, dans leurs habitudes, dans leur langage familier et dans leurs chansons. Il ne faut donc pas s’étonner si tant de causes de diversité, dont quelques-unes avaient résisté à la fusion intelligente de l’unité romaine comme au niveau aveugle de l’invasion barbare, n’ont pas encore complètement disparu.


I

Dans un pays où l’esprit municipal au moyen âge et plus tard l’intervention étrangère ont si longtemps retardé l’unité politique,