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lui-même, à qui il a été donné de recueillir un certain nombre de chants de ce genre, se plaint de ce qu’ils présentent d’incomplet et d’obscur. Il est vrai qu’il ne leur a pas appliqué l’esprit de critique et le système de rapprochement dont M. Nigra a donné depuis un si heureux exemple.

Comme l’a remarqué un écrivain à qui ce côté historique de la question ne pouvait échapper[1], de tous les pays où les nations gothiques s’établirent, l’Italie est celui où leurs institutions et leurs mœurs pénétrèrent le moins profondément. Les chants des bardes ont peu retenti sur ces bords que les muses latines avaient charmés naguère de leurs plus doux accens, et les Italiens eurent plus de points de contact avec les troubadours qu’avec les trouvères, les ménestrels et les scaldes. En Italie, l’éternelle clarté du ciel, l’intelligence subtile comme l’atmosphère elle-même, rendent tout à fait impossible la sombre légende et la poésie vaporeuse du Nord. D’un autre côté, le nombre, la grandeur et le caractère bien déterminé des faits historiques ne laissent pas prendre pied au fantastique dans cette patrie de l’histoire. « J’ai vu en Sicile, s’écrie avec étonnement M. Gregorovius, j’ai vu dans les montagnes des milliers de burgs en ruines, et pas un seul habité par la légende proprement dite (il entend le mot légende dans le sens romanesque, et non dans le sens catholique), comme par exemple chez nous ou en Angleterre ! »

S’il faut en croire M. Tigri, la plupart des chansons narratives qui courent parmi le peuple, qui se chantent et se vendent dans les villages par les aveugles et les mendians, sont des proses mal rimées, ramassées dans les légendes de toutes les contrées de l’Europe, et composées dans un style des plus pauvres par des poètes à la douzaine. Celles qui ne datent pas d’hier remontent à un siècle ou deux tout au plus ; elles roulent sur des sujets d’amour, de dévotion, ou sur des exploits de grands criminels. S’il se trouve dans le nombre certaines pièces anciennes ou de quelque valeur, elles sont gâtées par les arrangeurs, pour ne pas parler des typographes. Les plus connues de ces histoires sont celles de Mastrilli et de Martial, assassins qui ont su se dérober aux recherches de la justice, de Guérin le Meschin, de Liombruno, de Néron, du Pape Alexandre III. Ajoutez-y la Délivrance de Vienne, le Châtelain, le Cavalier hollandais, Paris et Vienne, Mariette la Courtisane, Pyrame et Thisbé, la Douce Chiarina et autres chansonnettes d’amour, enfin Napoléon à Moscou et Alexandre à Paris, octaves de Menchi, improvisateur fameux des montagnes de Pistoie, le dernier des cantastorie et des giullari toscans. Tel est, avec force légendes tirées de la Vie des

  1. M. Aug. Le Prévost, Essai sur les romances historiques du moyen âge.