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Ta réserve ne tiendra pas contre notre besoin de vérité : nous te sommons, lui et moi, de la dire. Es-tu amoureux de la marquise ?

Je répondis sèchement un non bien articulé, et j’attendis la suite de l’assaut.

— S’il dit non, c’est non, reprit Pasquali en voyant le sourire de doute de La Florade. Le docteur est un homme, et s’il dit non sans qu’on le croie, tu mérites une gifle, et c’est moi qui vais te la donner.

La Florade se mit à rire comme un homme habitué à ces paternelles menaces, et me prenant la main avec une force convulsive :

— Je te crois, dit-il, mais donne-moi ta parole d’honneur.

— J’ai dit non, répondis-je, et je veux que cela suffise. Après ?

— Oui, c’est juste, reprit La Florade. Eh bien ! puisque tu n’aimes pas, tu n’es pas aimé ?

— Cela va sans dire, observa Pasquali.

— Alors ? dis-je à mon tour.

— Alors, s’écria La Florade, tu ne dis pas de mal de moi à la marquise ?

— Je ne dis pas de mal de vous à la marquise en ce sens que, si j’ai eu l’occasion de parler de vos défauts, j’ai parlé beaucoup plus de vos qualités.

— Mais tu me hais ou tu me méprises ! s’écria-t-il en me menaçant de son regard de feu ; tu ne veux pas me tutoyer ?

— Je t’aime et ne te méprise pas ; je te plains souvent, je te blâme quelquefois. Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Il se jeta dans mes bras, et pleurant comme un enfant : — Ne me juge pas trop sévèrement, s’écria-t-il ; ne dis pas au baron, qui lui redit tout, que je suis un Lovelace de bord, un don Juan de guinguette, un libertin, un sot, un étourdi, un homme sans cœur, sans conduite et sans cervelle. Je ne suis rien de tout cela, vois-tu ! Je suis un bon garçon, un enfant, si tu veux. J’aime cette femme à en mourir, et elle ne m’aime pas, et je ne peux rien lui dire pour me faire aimer. Elle me fait peur, elle est plus qu’une femme pour moi ; c’est une divinité ou un démon. Elle me glace et me pétrifie. Dès qu’elle a le dos tourné, je brûle, j’enrage, j’ai des torrens d’éloquence à mon service ; mais si personne ne m’aide, si je n’ai pas d’amis, de bons et vrais amis pour lui expliquer mon mutisme d’imbécile, pour lui dire que je ne vis plus, que je ne travaille plus, que je n’ai plus ma raison, que je suis capable de manquer à tous mes devoirs, de me faire casser la tête pour un mot, enfin que je suis digne de pitié et hors de moi, jamais elle ne saura que je l’aime !

— Alors voici la question, répondis-je, ému de son désespoir, mais non convaincu par son raisonnement : il faut que le baron,