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mort n’est qu’un sommeil sans aucun songe, quel repos pour celui qui s’endort !

SOCRATE.

Pensée dangereuse, qu’il faut cacher à la multitude ! La crainte des châtimens qui les attend au-delà du tombeau est le seul frein qui retienne encore les hommes que les lois ne contiennent plus. D’ailleurs, Phidias, tu ne crois pas que nous périssions tout entiers ?

PHIDIAS.

Rien ne périt dans la nature. Du fruit qui se corrompt sort une plante nouvelle, et les lacs que le soleil dessèche retombent en pluie bienfaisante. Peut-être l’orgueil nous aveugle-t-il, nous qui ne consentons point à être mortels et qui prétendons entrer dans l’infini avec la conscience de ce que nous sommes ; mais cette intelligence que je sens en moi, que j’ai développée sans cesse, qui s’est accrue à mesure que mes membres s’usaient, et qui possède toute sa puissance au moment où mon corps touche à sa ruine, il est impossible qu’elle s’éteigne tout à coup.

SOCRATE.

Poursuis, je te comprends.

PHIDIAS.

Qui sait si ce que nous appelons la vie n’est point une mort et si la mort n’est point une vie ? De toutes les œuvres du Créateur, la plus merveilleuse, la plus délicate, celle qui semble avoir épuisé la science du divin artiste, c’est l’âme. Ce chef-d’œuvre ne durerait-il donc qu’un matin ?

SOCRATE.

Cela n’est pas vraisemblable.

PHIDIAS.

Le génie, présent inexplicable, serait-il enfoui à jamais dans l’urne qui contient nos cendres ?

SOCRATE.

Non, j’en atteste Jupiter !

PHIDIAS.

Enfin, puisque l’âme est capable de concevoir Dieu et de l’adorer, par cela seul ne devient-elle pas sacrée, et l’image de la Divinité qu’elle porte empreinte ne l’assure-t-elle pas d’être immortelle ?

SOCRATE.

Je ressemble au voyageur à qui l’on décrit des contrées qu’il croit avoir déjà parcourues.

PHIDIAS.

Quoi qu’il en soit, Socrate, je me remets sans crainte entre les mains de celui qui régit le monde et qui a tout prévu.

SOCRATE.

Il m’est donc permis de m’étonner, puisque telle est ta persuasion, que le souffle de la mort qui s’approche ne t’inspire pas, en soulevant devant tes yeux le voile du sanctuaire.

PHIDIAS.

Le contraire m’arrive, car je t’avouerai sincèrement ce que j’éprouve. Quand j’étais plein de vie et voulais saisir Dieu pour le représenter aux hommes, je sculptais un Jupiter, une Minerve, un Apollon. Ces figures