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dit-il d’un ton de tendresse qui pénétrait l’âme, je viens expier et guérir vos erreurs ; aimez celui qui vous aime et connaissez celui qui est ! » A l’instant, saisissant la statue, il la renversa sans effort, et montant sur le piédestal avec aussi peu d’agitation, il semblait prendre sa place plutôt qu’usurper celle d’autrui. Son air, son ton, son geste, causaient dans l’assemblée une extraordinaire fermentation ; le peuple en fut saisi jusqu’à l’enthousiasme, les ministres en furent irrités jusqu’à la fureur, mais à peine étaient-ils écoutés. L’homme populaire et ferme, en prêchant une morale divine, entraînait tout : tout annonçait une révolution, il n’avait qu’à dire un mot, et ses ennemis n’étaient plus ; mais celui qui venait détruire la sanguinaire intolérance n’avait garde de l’imiter. Il n’employa que les voies qui convenaient aux choses qu’il avait à dire et aux fonctions dont il était chargé, et le peuple, dont toutes les passions sont des fureurs, en devint moins zélé, et négligea de le défendre en voyant qu’il ne voulait point attaquer. Après le témoignage de force et d’intrépidité qu’il venait de donner, il reprit son discours avec la même douceur qu’auparavant ; il peignit l’amour des hommes et toutes les vertus avec des traits si touchans et des couleurs si aimables que, hors les officiers du temple, ennemis par état de toute humanité, nul ne l’écoutait sans être attendri et sans aimer mieux ses devoirs et le bonheur d’autrui. Son parler était simple et doux, et pourtant profond et sublime ; sans étonner l’oreille, il nourrissait l’âme : c’était du lait pour les enfans et du pain pour les hommes. Les génies les moins proportionnés entre eux le trouvaient tous également à leur portée. Il ne haranguait point d’un ton pompeux, mais ses discours familiers brillaient de la plus ravissante éloquence, et ses instructions étaient des apologues, des entretiens pleins de justesse et de profondeur. Rien ne l’embarrassait ; les questions les plus captieuses avaient à l’instant des solutions dictées par la sagesse ; il ne fallait que l’entendre une fois pour être persuadé : on sentait que le langage de la vérité ne lui coûtait rien, parce qu’il en avait la source en lui-même. »


Il n’est pas nécessaire, je pense, de signaler ici d’étranges disparates ; cette statue renversée par le révélateur, cette marque de force et d’intrépidité, cette attitude théâtrale, ce sont là des traits du plus mauvais goût, et il semble en vérité que Rousseau ait voulu faire ressortir par le contraste l’adorable simplicité du récit évangélique. A-t-on remarqué pourtant sa peinture de l’artisan céleste ? Comme il savoure le pain et le lait de cet enseignement béni ! comme il peint ce langage si doux et si profond, si simple et si sublime, ce langage proportionné à tous les esprits et qui ne coûte rien au divin maître parce qu’il en a la source en lui-même ! Non pas qu’il y ait là, comme on l’a cru, un retour au christianisme positif ; les opinions qui se sont produites à ce sujet nous semblent également inexactes. À coup sûr, si l’on s’en tient au fond des choses, il n’y a pas dans cette page un christianisme plus complet que dans la Profession de foi du Vicaire Savoyard ; mais n’est-ce rien que cette forme si tendre et si douce ? Cette préoccupation du