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Quand je fus au bas de l’escalier, je m’aperçus de ma distraction. Je n’avais aucune envie de voir Pasquali, je redoutais au contraire d’avoir à parler de ce qui me serrait la poitrine. Je passai outre furtivement, sans regarder par la petite barrière qui fermait son jardin du côté des degrés, et j’allais m’élancer sur le sentier de la plage, lorsqu’une voix m’appela : Hé ! par ici, le médecin ! Et, tournant la tête, je vis la Zinovèse qui, n’ayant trouvé personne chez Pasquali, s’était assise sur les marches de la maisonnette.

— Comment, c’est vous ? lui dis-je. J’ai peine à vous reconnaître !

— Vous voyez, vous m’avez guérie ! Eh ! on n’est pas trop vilaine à présent, qu’est-ce que vous en dites ?

En effet, Mme Estagel, encore un peu mince et pâle, avait recouvré sa beauté, qui était peu ordinaire. Beauté n’est pas le mot qui convient, si par là on entend une forme idéale animée d’une expression sympathique. La Zinovèse n’était jolie que par la délicate régularité de ses traits. Il n’y avait en elle ni charme, ni distinction réelle. Ses yeux, ramenés à leur expression normale, ne parlaient qu’aux sens. Ils offraient un mélange plus piquant qu’agréable de dédain et de provocation.

Elle était fort bien mise à la mode de je ne sais quel pays méridional, un costume de fantaisie peut-être, mais élégant, simple, sombre, et comme d’habitude d’une propreté recherchée. Une grosse chaîne d’or faisait huit ou dix fois le tour de son cou, et de longues boucles d’oreilles de corail de Gênes se détachaient sur sa chemisette d’un blanc de neige. Je ne me sentis pourtant pas porté à lui faire le compliment qu’elle réclamait. Je me contentai de la questionner sur sa santé et de lui demander si elle en devait réellement le retour à mes ordonnances.

— Oui, répondit-elle, évidemment blessée de mon peu de galanterie ; je crois que je vous dois le mieux que j’ai eu tout de suite, et à présent il y a autre chose. Je suis plus contente.

— Vous avez oublié…

— Rien du tout ! personne ! mais on m’a demandé grâce et pardon, c’est tout ce que je voulais. Ne parlons plus de ça. Je suis venue ici pour vous. Je vous apporte un présent.

— Je ne veux pas de présent.

— Alors vous méprisez le monde ?

— Non, puisque j’ai été chez vous pour le plaisir de vous être utile.

— Gardez le plaisir, c’est bien ; mais ne refusez pas ce que mon mari vous envoie.

Et elle me montra un grand panier qui était près d’elle, et qui contenait un très beau poisson de mer.