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yeux, parce que, les Anglais étant en général favorables aux Turcs, on peut prendre leur témoignage en faveur des chrétiens comme très véridique. M. Farley a publié à la fin de l’année dernière, sous le titre de Massacres en Syrie[1], un ouvrage très intéressant et très impartial. Il pense sur ces massacres ce que toute l’Europe en pense, et il les impute sans hésiter aux Turcs ; mais, allant plus loin que beaucoup de publicistes anglais, il n’accuse pas seulement les Turcs, il cherche les moyens de préserver les chrétiens des dangers qui les menacent. « Il faut, dit-il, que le gouverneur chrétien du Liban ait le droit d’organiser une force armée capable de défendre le pays placé sous sa juridiction. Sur ce point, je puis exposer les opinions des Syriens eux-mêmes, et comme elles viennent de ceux qui sont le plus intéressés dans la question, elles méritent, je pense, quelque respect et quelque considération. Les chrétiens de Syrie demandent que la création d’une armée chrétienne par la voie de la conscription soit enfin décidée. Chaque année, on lèverait un certain nombre de chrétiens proportionné à la population. On estime qu’on pourrait lever deux mille hommes chaque année, de sorte qu’au bout de cinq ans l’on aurait un effectif valide de dix mille hommes. Tous les ans, deux mille hommes seraient libérés et remplacés par deux mille nouvelles recrues, de sorte qu’au bout de quinze ans il y aurait en Syrie trente mille chrétiens exercés au maniement des armes. La condition indispensable au succès de ce plan, c’est que dans cette armée les officiers soient chrétiens, que les régimens soient tout à fait distincts des régimens musulmans et qu’ils aient une administration militaire tout à fait à part. Grâce à ce système, les chrétiens de Syrie, ayant dix mille hommes de troupes régulières avec une réserve de vingt mille hommes exercés, seraient assurés d’une protection efficace. Alors le pays ne serait plus à la merci des égorgeurs comme il l’a été jusqu’ici, et d’égorgeurs qui attentent à la fois aux droits sacrés de l’humanité et nuisent aux intérêts du gouvernement ottoman.

« Il n’y a rien d’exorbitant, ajoute M. Farley, dans cette demande des chrétiens de Syrie, et si elle n’est pas agréée, comment réaliser les promesses généreuses faites par le nouveau sultan à son avènement à la couronne ? Comment exécuter le hat-humayoun de 1856 ? Si les intentions manifestées par le sultan sont remplies, et si elles sont réellement mises en pratique selon les moyens désignés, alors les chrétiens de Syrie peuvent regarder l’avenir avec confiance ; mais si le contraire malheureusement arrive, personne ne pourra refuser aux chrétiens de Syrie le droit de demander une intervention

  1. The Massacres in Syria, by J. Lewis Farley, author of The Two years in Syria ; London 1861.