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— C’est bien, c’est bien, répondit-elle, vous vous moquez de moi, ou vous croyez m’empêcher de faire ce que je voudrai !

— Je n’aurai pas la moindre peine à vous faire tenir tranquille, ma chère malade. Les médecins ne craignent pas les fous, et vous allez voir comment je m’y prends pour arrêter l’accès !

Cette menace mystérieuse et vague dont je m’avisais pour la frapper de terreur produisit son effet.

— Ne craignez rien, docteur, reprit-elle, je ne suis pas folle, et je ne veux de mal à personne.

— Je l’espère bien : le mal serait pour vous ! Mais pourquoi montez-vous à Tamaris ? C’est à la bastide Caire que je demeure.

— Je veux voir la dame ! Laissez-moi la voir.

— Pourquoi ?

— Je veux la remercier. C’est elle qui vous a dit de venir chez moi pour me guérir, vous savez bien ! C’est une femme bonne, on dit.

— Eh bien ! venez la remercier, rien ne s’y oppose ; mais ne dites rien d’inconvenant, ou gare au médecin !

Je l’amenai sous la varande où Mme d’Elmeval était assise, et celle-ci s’écria en la voyant : — Ah ! bravo, docteur ! voilà comment il faut guérir les gens ! Je vous fais aussi mon compliment, madame, vous voilà redevenue charmante. Vous ne pleurez plus votre beauté, n’est-ce pas ? et ce qui vaut encore mieux, vous ne souffrez plus ? Asseyez-vous et reposez-vous. Est-ce que vous êtes venue à pied ?

La Zinovèse fut imperceptiblement émue, mais sensiblement intimidée de l’accueil de celle qu’elle regardait comme sa rivale. J’en fus ému agréablement pour ma part. On se rappelle que la marquise connaissait l’histoire de La Florade avec cette femme, et je pouvais constater que, sans aucune préparation ni effort, elle la recevait avec la plus parfaite aménité. La Zinovèse s’assit au bout du banc. Mme d’Elmeval fut un peu surprise de me voir me placer entre elles. Au bout d’un instant, elle comprit ou devina que je n’étais pas absolument tranquille.

— Et comme ça, dit la Zinovèse après avoir remercié la marquise aussi poliment qu’il lui était possible, vous ne venez donc plus vous promener du côté de chez moi ? Vous allez sur mer plus souvent que sur terre, n’est-ce pas ?

— Non, pas très souvent.

— Il y a des officiers de marine qui vous promènent dans les canots de l’état pourtant ?

— Une seule fois, répondit la marquise avec un sourire de douceur railleuse.

— Ah ! une fois ?

— Vous trouvez que c’est trop ?