Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’aplomb au récit de cet homme, désabusé déjà de la gloire. Le défaut que nous signalons ici dans le récitatif d’Adoniram est capital, et il règne dans toute la partition. Le musicien n’a pas su trouver non plus une mélodie heureuse pour le jeune élève d’Adoniram, Benoni, qui vient lui annoncer l’arrivée de la reine Balkis à Jérusalem. En décrivant la beauté de cette femme extraordinaire par des vers comme ceux-ci :

Comme la naissante aurore
Se lève, pâle encore,
Dans l’azur des deux…


le compositeur n’a pas rencontré un de ces chants légendaires et naïfs comme il y en a dans le Joseph de Méhul, voire dans l’Enfant prodigue de M. Auber, ce qui est assez piquant M. Gounod lui-même a fait un chef-d’œuvre dans ce genre de mélodie agreste et primitive : nous voulons parler du chant du pâtre, au troisième acte de son opéra de Sapho. Quant à la scène des trois ouvriers, Phanor, Amrou et Methousael, qui, jaloux de la grande renommée d’Adoniram, viennent se plaindre à lui de l’injustice dont ils se croient les victimes, ce n’est vraiment ni du récitatif ni du chant cursif qu’on puisse suivre et saisir. La scène qui termine l’acte se passe sur une vaste terrasse qui domine toute la ville de Jérusalem, en présence du roi Soliman, de la reine Balkis et de tout un peuple de courtisans. Une marche assez médiocre sert d’introduction à Adoniram, suivi de ses nombreux ouvriers. La reine a manifesté le désir de le voir et de le questionner sur la grandeur de ses travaux. Elle lui dit :

Devant vos ouvriers, que ne puis-je vous dire
Combien votre génie en sa simplicité,
Maître, me parait grand, et combien je l’admire !

— Si c’est là votre volonté, répond Adoniram, je vais la satisfaire. — Il monte alors les degrés du temple, trace en l’air un signe symbolique qui fait remuer dans la plaine tout un peuple d’ouvriers. Cette scène obscure, décousue et dépourvue d’intérêt, n’a rien inspiré au musicien qui vaille la peine d’être remarqué : c’est un interminable récit où l’on sent une forte imitation du style de Meyerbeer. L’entrevue d’Adoniram et de la reine n’a donné lieu qu’à un fatigant dialogue, sans que jamais les deux voix parviennent à s’unir dans un ensemble harmonieux. C’est une véritable déploration dans le vieux sens de ce mot, un verbiage incolore, d’une fâcheuse monotonie.

Au second acte, qui s’ouvre sur un bois de cèdres et de palmiers, on remarque un chœur fort agréable que chantent les suivantes de Balkis :

Déjà l’aube matinale.


Celui qui vient après, chœur dialogué en deux parties, entre les suivantes de Balkis et des jeunes filles juives, est plus joli encore, bien qu’il soit d’un style un peu léger pour un grand ouvrage biblique. On pourrait même