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ses autres possessions, offrait les mêmes traits principaux qu’on retrouve dans toutes les tyrannies systématiques : diviser pour régner, entretenir les dissensions entre les diverses classes, d’autant plus qu’elles avaient plus de moyens d’influence, contenir et enchaîner les intelligences, parquer l’homme dans l’enceinte étroite de son individualité solitaire où il est nécessairement faible, en interdisant l’usage de l’association; centraliser le pouvoir de sorte que l’exercice entier en fût réservé aux agens directs de la métropole. C’était encore une règle de tenir les colonies isolées les unes des autres, de peur qu’elles ne cherchassent, dans un effort commun, la chance de respirer plus librement.

Voici en quels termes M. Lucas Alaman, qui pourtant est un juge débonnaire quand il s’agit du gouvernement des Espagnols au Mexique, rend compte de la manière dont était réglée la pâture de l’esprit dans toute l’étendue de l’Amérique espagnole. « La faculté d’imprimer n’était pas seulement subordonnée, comme en Espagne, à la surveillance des deux autorités civile et ecclésiastique, rien ne pouvant être imprimé sans la permission de l’une et de l’autre, permission qui ne s’accordait qu’après un examen fait par des personnes commissionnées à cet effet, dont le rapport devait porter que l’écrit ne contenait rien qui fût contraire aux dogmes de la sainte église romaine, aux prérogatives de sa majesté et aux bonnes mœurs. En outre, on ne laissait imprimer en Amérique aucun livre qui traitât des affaires des Indes (l’Amérique), sauf l’approbation du conseil de ce nom. L’ordre avait été donné de retirer tout ce qui circulait sans que cette condition eût été remplie. Les restrictions étaient observées avec tant de rigueur, que Clavigero ne put faire imprimer en langue castillane dans la Péninsule même son histoire du Mexique, et fut réduit à la faire traduire en italien et imprimer en Italie. Les livres publiés en Espagne ou à l’étranger, concernant les Indes, ne pouvaient être délivrés dans les colonies à moins de la même permission. Pour veiller à ce que ces conditions fussent remplies, et pour empêcher l’entrée dans les colonies de « tous livres traitant de matières profanes, ou fabuleuses, ou des romans, » le contenu de tout ouvrage qu’on embarquait à cette destination devait être spécifié sur les registres de bord. Des proviseurs ecclésiastiques et des officiers de la couronne devaient assister à la visite des navires, pour reconnaître les livres. Ensuite venait l’examen de l’inquisition. Il y avait eu quelque relâchement dans ces dispositions, mais non pas dans la dernière. »

Une des précautions que le gouvernement espagnol considérait comme particulièrement efficaces pour maintenir sa domination dans ses colonies était une préférence absolue pour les natifs d’Espagne,