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tra décidé à lui donner raison. Dès lors le parti espagnol conçut un dessein qui ne pouvait qu’affaiblir le respect dont jusqu’alors avaient constamment été entourés les pouvoirs émanés de la Péninsule. Sous la direction apparente d’un Espagnol, riche propriétaire de sucreries dans les environs de Cuernavaca, don Gabriel Yermo, mais plus probablement sous l’inspiration de l’audiencia, parmi les membres de laquelle deux magistrats éminens d’ailleurs, les oïdores Aguirre et Bataller, se faisaient remarquer par leur véhémence, les notables espagnols ourdirent contre le vice-roi une conspiration qui réussit, parce que Iturrigaray manqua, dans cette circonstance au moins, de résolution et de clairvoyance. Le nombre des conjurés était si grand qu’il eût dû dix fois découvrir le complot, s’il eût pris la peine de surveiller les mécontens, et il avait bien plus de troupes qu’il n’en fallait pour les intimider, surtout en s’aidant de l’ayuntamiento et des créoles. Une nuit, après avoir séduit la garde du palais, les conjurés vinrent au nombre de trois cents l’arrêter dans son lit. Ils l’enfermèrent avec ses deux fils aînés dans les prisons de l’inquisition, en faisant circuler un prétexte d’hérésie dont personne ne fut la dupe. Sa femme et ses autres enfans furent confinés dans un couvent. A sa place, l’audiencia appela à la vice-royauté un militaire obscur qui, par rang de grade et d’ancienneté, était le premier des officiers espagnols; mais on dut le remplacer après quelques mois par l’archevêque de Mexico, qui lui-même dut plus tard céder la place à l’audiencia, et celle-ci gouverna jusqu’à ce que la régence espagnole eût envoyé un vice-roi.

Aussitôt qu’on eut déposé le vice-roi Iturrigaray, on mit sous les verrous plusieurs Mexicains des plus influens qui appartenaient à l’ayuntamiento de Mexico ou qui s’étaient prononcés dans le même sens. Quelques-uns furent bannis aux îles Philippines, d’autres emprisonnés dans le château de Saint-Jean-d’Ulloa, citadelle de la Vera-Cruz réputée imprenable. Il y en eut même d’envoyés en Espagne pour y subir leur jugement. L’audiencia ordonna aux Espagnols de former des juntes de salut public, et de s’organiser en troupes armées, qui prirent le nom, bizarrement choisi, de patriotes. On se flattait ainsi de comprimer l’élan qui avait porté les Mexicains à se croire quelque chose. On obtint le seul résultat possible de tant de violence et de présomption, on démontra aux Mexicains qu’entre eux et les Espagnols il y avait un abîme. Le langage que tenaient les meneurs de l’audiencia et des péninsulaires n’était pas de nature à calmer le mécontentement des Mexicains; l’oïdor Bataller avait coutume de dire que tant qu’il resterait dans la Péninsule un savetier de la Castille ou un mulet de la Manche, ce serait à eux qu’appartiendrait le gouvernement de l’Amérique. L’ayunta-