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daigneux signalait l’insurrection comme extirpée ; mais cet habile militaire, qui avait un coup d’œil sûr, savait bien, alors même qu’il parlait en termes si pompeux de ses victoires et de l’anéantissement prétendu des insurgés, que la cause de l’indépendance n’en était pas moins assurée de triompher, parce qu’elle était gagnée dans le cœur des Mexicains. On en trouve la preuve dans une pièce officielle qui était destinée à rester secrète, mais que le cours des événemens postérieurs a fait tomber dans le domaine de la publicité. C’est un rapport de Calleja au gouvernement de Ferdinand VII, qui est à peu près contemporain de sa proclamation si orgueilleuse et si confiante, car il est du 14 août 1814 . Ce document porte que l’esprit de rébellion s’est emparé du pays, se manifeste partout et toujours, de manière à être insaisissable et à défier tous les moyens de répression. Ce n’était pas seulement le guerrillero caché derrière un rocher ou parmi les cactus, c’était une complicité universelle à laquelle participaient toutes les classes et tous les âges. « Le juge, disait Calleja, dissimule les crimes des insurgés ou s’abstient de les punir, quand il n’y a pas mis la main. Le clergé, dans le confessionnal, insinue la désobéissance et l’indépendance aux fidèles, quand il ne la recommande pas du haut de la chaire. Les écrivains corrompent l’opinion en sa faveur. Les femmes séduisent les militaires. Le fonctionnaire avertit les rebelles des plans de ses supérieurs ; la jeunesse se tient prête et s’arme ; le vieillard intervient par ses conseils. Les corporations affectent d’être en mésintelligence avec les Européens, refusent de les admettre dans leur sein et esquivent toute assistance au gouvernement ; on travestit les actes de l’autorité pour les faire détester, on les discrédite par des remontrances pour lesquelles on trouve toujours un prétexte. C’est ainsi que tout le monde est d’accord pour miner l’édifice de l’état en s’abritant sous les institutions libérales. »

Ces dernières paroles de Calleja font allusion à la constitution des cortès, qui, proclamée en 1812 dans la Péninsule, avait été introduite dans les colonies par la volonté expresse des cortès elles-mêmes. Le premier effet de la constitution fut de conférer des droits électoraux à la population blanche, ou supposée telle. Ce fut pour les partisans de l’indépendance une occasion de se compter. Ils posèrent en principe d’écarter systématiquement les Espagnols (cette qualification signifie toujours, dans cet article, les natifs d’Espagne). Dès le premier moment, on eut six cent cinquante-deux élections à faire pour les ayuntamientos et pour diverses autres fonctions. Sur ce nombre d’élus, pas un ne fut un Espagnol. L’audiencia, à une représentation de laquelle j’emprunte ce fait, ajoute que les choix tombèrent sur des hommes connus pour leur attachement à l’indé-