Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle nécessite. Dans plusieurs contrées, beaucoup de cultivateurs remédient à un tel inconvénient en employant soit des jumens poulinières que la vente de leurs poulains transforme en bêtes de rente, soit de jeunes chevaux achetés au moment où ils commencent à travailler, pour les revendre plus tard, à l’époque de leur pleine valeur, ce qui en fait des bêtes de profit: mais on ne peut, dans aucune de ces deux combinaisons, demander aux attelages une très forte somme de travail. D’ailleurs ces sortes de spéculations ne sont point partout réalisables et ne conviennent pas à tout le monde; aussi l’amortissement nécessaire augmente-t-il d’un chiffre notable les frais d’écurie de la plupart de nos cultivateurs. Avec des bœufs, l’amortissement devient inutile, parce qu’on peut les revendre à des engraisseurs dès qu’on désire s’en défaire, si l’on ne préfère les engraisser soi-même. Cette aptitude du bœuf à mieux conserver sa valeur marchande, pourvu seulement qu’on ne le laisse pas trop vieillir, et à commencer sa transformation en bête d’engrais dés le jour où s’arrête le travail, est un avantage important. Ajoutez que sa nourriture et ses harnais[1] coûtent moins cher que ceux du cheval, que son prix d’achat est également moindre, et que l’on est moins exposé avec lui à toutes les fraudes du maquignonnage; ajoutez enfin que son tirage est plus calme, plus régulier, et que son fumier est plus abondant.

Qui n’a parfois, dans nos montagnes de la France centrale, admiré une belle paire de bœufs retenant sur le penchant d’un sentier abrupt le char qui porte à la ville voisine de lourds fardeaux ou d’encombrantes récoltes? Les jambes de devant résistent, les jambes de derrière s’infléchissent, le cou se raidit; le poids de la charge fait crier le grossier véhicule, et menace de précipiter l’attelage; mais, calme dans sa marche autant qu’inébranlable, le bœuf obéit à son conducteur. Il avance sans hâter le pas, il modère sans secousses la descente du char, et arrive sans encombre jusqu’à la route où aboutit le sentier. Près de là est un marais où ne poussent que des herbes dures et sans saveur dont ne veut aucun cheval; c’est cependant un peu de cette herbe qu’on donne au bœuf comme récompense, ou bien quelques tiges sèches de maïs plus dures encore, et il s’en contente. Demain il défrichera un bois, et, maintenu dans le devoir par le chant monotone ou les vives interpellations de son maître, il fera dans ce nouveau travail preuve de la même énergie. Ni les racines que rencontrera la charrue, ni les pierres qu’elle soulèvera n’arrêteront ses efforts. Sa vraie place est donc au milieu

  1. Le plus mauvais mode d’attelage, mais le plus économique, c’est le joug double qui, en rivant l’un à l’autre deux animaux dont la taille, la force et les allures sont souvent différentes, nuit au travail et parfois à la santé des deux bœufs. On devrait n’employer que le joug simple ou le collier.