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maine dispose à leur emploi simultané en assurant leur commune nourriture.

Pour ce qui concerne le bétail de rente et le bétail de profit à introduire dans ses étables, le cultivateur est encore guidé par des considérations analogues. S’il n’y a jamais intérêt à transformer la ferme en une ménagerie agricole nourrissant toutes les espèces d’animaux utiles, il convient cependant, sur un domaine de quelque importance, d’entretenir dans une proportion variable plusieurs de ces espèces, afin d’assurer l’entière consommation des ressources alimentaires que l’on possède. Ne rien perdre, ni un brin d’herbe, ni une pelletée de fumier, n’est-ce pas le grand secret des succès en agriculture comme en industrie? Néanmoins chaque province, chaque exploitation même semble incliner de plus en plus à s’occuper spécialement de certains animaux et à négliger un peu tous les autres. Cette tendance est logique; elle résulte de la nature des choses, c’est-à-dire du climat, du sol, du degré de richesse, de l’état commercial, et elle correspond à ce que les économistes nomment la division du travail. Féconde aux champs comme dans l’atelier en résultats heureux, la division du travail fait produire en Bretagne et dans le Perche, puis élever dans la Beauce, une partie des chevaux de trait qu’utilise Paris; elle fait naître dans nos montagnes du centre et travailler dans nos provinces de l’ouest une foule de bœufs qu’engraissent ensuite nos riches vallées de Normandie; c’est elle enfin qui, dans le voisinage des grandes villes, où le lait se vend cher, fait préférer à tout autre bétail des vaches qu’on achète amoyantes[1] et qu’on prépare pour la boucherie dès que leurs qualités laitières diminuent.

Dans les plaines humides et sur les « plateaux volcaniques dont la fertilité s’explique par la composition chimique du sol et par une grande altitude qui condense les vapeurs de l’atmosphère, » on ne peut avoir que des bêtes à cornes et non pas des bêtes à laine, que la cachexie ferait bientôt périr. Si les pâturages donnent seulement une herbe courte et sèche, on entretient des moutons et non plus des bêtes bovines, qui ne tarderaient pas à y mourir de faim. C’est ce qui éloigne ces dernières du midi de la France et ce qui les multiplie dans le nord, c’est même ce qui force plusieurs de nos provinces méridionales à soumettre leurs troupeaux à la transhumance. Semblable alors au nomade du désert, qui promène sa tente à la recherche de fraîches oasis et quitte celles qu’il vient d’épuiser pour en aller toujours épuiser de nouvelles, le pasteur des troupeaux transhumans ne compte pas uniquement, comme nourriture de ses bêtes, sur l’herbe que produisent les pâtures environnantes.

  1. On dit qu’une vache est amoyante ou amouillante quand elle doit bientôt vêler.