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dans le Boulonnais des chevaux de selle aussi fins que ceux de la Navarre. Cependant que disent les faits? Que celles de nos races indigènes qui se répandent le plus généralement et le plus loin de leurs lieux de production sont deux races de trait : la race percheronne, dont la marche se poursuit, surtout vers l’est et le nord-est, jusque sur nos frontières, pour les dépasser souvent, et faire dans ce long parcours concurrence aux autres familles françaises qu’elle rencontre, et la race bretonne, qui, elle, incline plutôt vers le sud et le sud-est, allant jusqu’aux Alpes et jusqu’aux Pyrénées rendre aux contrées qui l’importent les plus utiles services. Que disent encore les faits? Que les pays producteurs où l’on gagne le plus d’argent sont ceux où l’industrie chevaline s’exerce sur des animaux de trait de distinction moyenne. Cet état de choses ne doit étonner personne. L’amélioration générale des routes a fait renoncer à l’usage de la selle pour adopter la voiture, qui est en effet un mode de transport bien moins fatigant et bien plus commode, d’où il résulte qu’à part le haut luxe, dont les exigences sont coûteuses à satisfaire et les achats fort incertains, les producteurs de chevaux de selle n’ont plus que notre armée comme consommateur principal. Or la remonte, qui d’ailleurs se contente souvent de chevaux de trait un peu légers, et qui commence à employer un nombre de mulets beaucoup plus considérable, est elle-même d’un fonctionnement fort irrégulier. Craint-elle la guerre, vite elle achète tout ce qu’elle trouve, et elle fait venir du dehors tout ce qu’on peut importer. Revient-on à la paix, tout aussitôt elle cesse ses achats. Et puis qu’un cheval soit refusé par elle pour une raison ou pour une autre, quel acquéreur lui trouvera-t-on, et à quelles conditions faudra-t-il le laisser? Faute de payer assez cher les animaux qu’on lui présente et d’en activer ainsi la production, faute surtout de consacrer chaque année à ses achats une somme à peu près fixe, la remonte de notre cavalerie éprouve parfois, dans les cas de guerre, des difficultés fort grandes, que nos agriculteurs peuvent déplorer comme Français, mais ne peuvent pas raisonnablement faire entrer en ligne de compte, quand il s’agit de la direction à donner à leur industrie[1]. Si nous exprimons aussi franchement notre manière de voir dans une telle question, à plus forte raison répugnerions-nous

  1. Voici ce que nous lisons dans le Compte-Rendu pour 1861 de l’administration des haras : « Agissant forcément sur la tête de la production comme sur l’ensemble pour satisfaire aux exigences de son effectif, la remonte a contribué à éloigner le commerce de nos marchés, sans offrir à l’éleveur un juste dédommagement. En effet, la remonte, obligée de se renfermer dans des prix nécessairement modérés, ne pouvait suppléer à l’absence du commerce et à l’émulation qui résulte de la concurrence. Si, en temps de paix, elle a trouvé des ressources à peu près suffisantes pour fournir aux besoins de la cavalerie et de la gendarmerie, aujourd’hui comme en 1854 et en 1859 elle retomberait dans les mêmes embarras, si on devait passer du pied de paix au pied de guerre. »